En lever de rideau des célébrations du centenaire de Norman McLaren, le travail du grand cinéaste d'animation a inspiré sept oeuvres d'art public qui habiteront et illumineront tout le Quartier des spectacles. Entrevues avec nos participants locaux: Kid Koala, Theodore Ushev, Melissa Mongiat et Mouna Andraos.

Mardi, l'Office national du film (ONF) et le Quartier des spectacles annonceront les noms des quatre artistes internationaux dont les films célébreront le centenaire de Norman McLaren dans le Quartier des spectacles. Montréal ne sera pas en reste pour cette manifestation d'art public. Le musicien Kid Koala, le cinéaste d'animation Theodore Ushev ainsi que les artistes multidisciplinaires Melissa Mongiat et Mouna Andraos ont aussi concocté un hommage interactif à Norman McLaren.

L'idée de départ: s'inspirer d'un ou de films du pionnier du cinéma d'animation canadien afin de créer une vidéoprojection ludique et interactive qui sera diffusée du 11 avril au 1er juin dans le Quartier des spectacles.

Ces artistes sont entrés, en quelque sorte, dans la tête du grand cinéaste montréalais pour en retirer la substantifique moelle et nous la servir au goût du jour.

En soirée, du 11 avril au 1er juin: Théâtre Maisonneuve, Grande Bibliothèque et métro Saint-Laurent

Kid Koala en collaboration avec Hololabs: Phonophotopia

La participation du DJ et auteur de romans graphiques Eric San (Kid Koala) était tout à fait indiquée pour l'hommage à Norman McLaren sur les murs du Quartier des spectacles.

«J'ai étudié en animation, nous apprend-il. La majorité de mes amis font de l'animation. Et si on y pense bien, scratcher des vinyles, ça s'apparente beaucoup à scratcher de la pellicule. Norman McLaren était un pionnier dans ce domaine.»

Le seul problème était son horaire surchargé. Kid Koala participe à deux tournées en ce moment: celle d'Arcade Fire et celle de son groupe de hip-hop underground, Deltron.

Le musicien de 39 ans s'est toutefois dit très heureux de prendre part au projet de l'ONF et du Quartier des spectacles en hommage à un artiste qu'il admire depuis toujours.

«L'idée était de toucher les gens avec la musique, donc c'est un mariage parfait. Mais je n'aurais pu y arriver sans le travail de Hololabs. C'est la première fois, grâce à eux, que je fais de l'interactif de cette ampleur.»

Ce jeune studio montréalais se spécialise dans le 3D et les installations holographiques. Avec Kid Koala, l'équipe a conçu un convoyeur sur lequel les spectateurs déposeront des pièces de couleur. Leur image sera projetée sur le mur du Théâtre Maisonneuve et numériquement transformée en musique.

«C'est une machine à composer de la musique de façon artisanale, basée sur le film Dots (1940) de McLaren, explique Kid Koala. Comme le faisait McLaren, il s'agit de créer du son avec des images.»

Photo: La Presse Canadienne

Kid Koala

Theodore Ushev en collaboration avec Iregular: Diagonales

L'idée était, cette fois, de réaliser une nouvelle oeuvre à partir de trois films de Norman McLaren: Lignes horizontales (1960), Lignes verticales (1962) et Synchromie (1971).

«On voulait créer un nouveau film avec l'aide des gens. Notre construction - un monolithe - s'apparente à une intelligence artificielle, comme dans le film de Kubrick 2001: L'odyssée de l'espace, mais aussi comme si c'était le cerveau de Norman McLaren. Pour nous, c'était un génie. Nous avons créé un monument à sa créativité.»

Ce projet représentait un grand défi pour le cinéaste d'animation de l'ONF et héritier de McLaren, habitué à travailler sur pellicule. Il a pu être réalisé grâce au studio Iregular de Daniel Iregui.

Celui-ci et son équipe ont mis sur pied une structure rectangulaire d'acier pesant une tonne sur laquelle les spectateurs pourront faire courir leurs doigts, leurs ongles et leurs mains pour créer des sons et des images qui seront projetées sur la Grande Bibliothèque.

«Nous avons fabriqué un logiciel qui génère des sons semblables à ceux qu'on trouve dans Synchromie, dit M. Iregui. On peut les contrôler et en faire ce qu'on veut. Nous utilisons aussi 300 images du film pour générer divers graphiques. On sent l'esthétique de McLaren à tout moment.»

L'informatique permet ici de multiplier les possibilités visuelles et sonores dans la création à laquelle participe le spectateur.

«Plus les gens interagissent avec le monolithe, plus les images changent et les sons également. Notre machine ne générera jamais deux images ou deux sons pareils», souligne Daniel Iregui.

Photo: Alain Roberge, La Presse

Daniel Iregui et Theodore Ushev

Melissa Mongiat et Mouna Andraos (Daily tous les jours): McLarena

Au contraire de leurs collègues masculins, Mouna Andraos et Melissa Mongiat (de Daily tous les jours) ont voulu miser sur l'humain et les personnages réels qu'utilisait parfois McLaren dans ses films. Elles ont arrêté leur choix sur Canon, film très amusant de 1964.

«C'est une étude en trois temps sur le canon musical. Un personnage fait trois mouvements qui sont répétés en canon. Le personnage fait différents gestes et un autre «lui-même» arrive à l'écran et refait les mêmes gestes qui deviennent coups de poing, coups de pied, etc.», explique Melissa Mongiat.

Fascinées par la chorégraphie de Canon, les deux jeunes femmes ont décidé de demander aux gens de reproduire les gestes vus à l'écran, l'un à la suite de l'autre, pour créer une nouvelle danse en direct, une sorte de «macarena».

«On introduit la notion d'erreur qui est présente dans le cinéma de McLaren et on laisse aux humains le côté interprétatif, ajoute Mouna Andraos. C'est très ludique. On refait le film avec le public dans la rue pendant deux mois.»

Un studio d'enregistrement sera installé sur l'édicule du métro Saint-Laurent du coucher du soleil jusqu'à minuit. Les gens pourront donc enregistrer leur contribution à cette oeuvre de cinéma collectif qui sera diffusée sur le mur d'un édifice bordant l'emplacement.

Les deux jeunes femmes ont aussi décidé d'animer ce lieu très passant, mais où les gens s'arrêtent peu, sinon pour attendre l'autobus.

«Le terrain n'est pas en friche, mais il a besoin d'amour, note Melissa Mongiat. On essaiera d'y créer un endroit convivial. Il y aura une terrasse attenante. On y installera un café pour que les gens profitent du beau temps.»

Photo: Robert Skinner, La Presse

Mouna Andraos et Melissa Mongiat

Une vie de créativité

On parle beaucoup de Montréal créatif, mais si un homme a incarné cette idée par le passé, c'est bien Norman McLaren. Le cinéaste d'animation a inventé notamment le dessin et la gravure sur pellicule, la pixellisation et le son synthétique. Il a influencé des dizaines d'artisans du cinéma en une vie de 72 ans et une carrière de 50 ans basée sur la création, l'inventivité et l'expérimentation. En voici les moments saillants.

1914: Naissance à Stirling, en Écosse.

1933: Premiers films, dont 7 Till 5, Love on the Wings et Boogie Doodle.

1941: Entrée à l'Office national du film où il restera jusqu'en 1984.

1949: Il a plusieurs courts métrages à son actif déjà, dont Alouette et Le merle, mais il tâte aussi du surréalisme avec Hoppity Pop et Begone Dull Care.

1952: Il commence à explorer la danse au cinéma et il reçoit la consécration avec un Oscar pour Voisins, dénonciation de la guerre et de toutes les violences.

1955: Autre prix important - Palme d'or du court métrage à Cannes -, pour Blinkity Blank.

1961: Les années 60 sont les plus prolifiques du cinéaste. Il tourne entre autres un film fort amusant dont il est la vedette: Discours de bienvenue de Norman McLaren.

1968: Plusieurs prix dans le monde pour le merveilleux film de danse Pas de deux (1968).

1983: Dernier film, peut-être le plus sensuel, le plus personnel et intime, Narcisse.

1987: Décès à Montréal.

Photo: fournie par l'ONF

Norman McLaren