«Il était grand temps...» À quelques heures du déclenchement d'une autre élection générale, le ministre de la Culture et des Communications a dévoilé hier à Montréal la première «Stratégie culturelle numérique québécoise» qui touche les grands segments des arts et des lettres, des industries culturelles, des médias, des musées et des bibliothèques.

Devant le gratin des institutions et industries culturelles réuni à la Société des arts technologiques (SAT), Maka Kotto a expliqué les grandes lignes de cette stratégie qui doit aider le Québec à «rattraper le temps perdu», à arriver enfin dans cette «ère de partage» planétaire (www.mcc.gouv.qc.ca/strategieculturellenumerique).

La Stratégie, pour laquelle des investissements de 150 millions sont prévus au budget rendu public le 20 février dernier, porte sur trois axes principaux: 1. l'enrichissement de l'offre des contenus numériques; 2. la diffusion et l'accès à ces contenus; 3. la création d'un «environnement propice au développement du numérique» par la mise en place d'infra-structures adaptées.

«Ce que l'on voyait comme une menace, a déclaré le ministre, doit désormais être perçu comme une opportunité» pour les artistes et les créateurs de «faire rayonner la culture québécoise plus intensément sur la scène internationale». Une occasion aussi pour les entreprises culturelles d'affermir leur position dans un environnement mondialisé dominé par l'anglais et la culture américaine. Au Québec, la culture compte pour quelque 130 000 emplois et ses retombées sont de l'ordre de 10 milliards de dollars, dont le quart viendrait du secteur numérique des quatre segments cités plus haut.

Si les 150 millions alloués à cette Stratégie font partie d'un budget qui n'a pas encore été adopté - «Budget d'élections!», s'est exclamée l'opposition -, le ministre Kotto a annoncé des investissements «immédiats» de 10,2 millions destinés à la mise à niveau des équipements numériques dans toutes les régions du Québec. Pour les salles de spectacle, 5,3 millions; 2,5 millions aux bibliothèques pour intégrer les livres numériques à leurs collections; 1 million pour les cinémas parallèles et 1,4 million «confié» à la SAT pour la mise en oeuvre d'un projet-pilote de mise en réseau de diffuseurs en arts de la scène et de communautés autochtones.

Pour Monique Savoie, présidente fondatrice et directrice artistique de la SAT, un des principaux hubs technologiques au Canada, ce projet marque le début de la «démontréalisation» de l'espace virtuel québécois. «Depuis 2008, nous travaillons avec Scenic2, une suite logicielle ouverte» pour la transmission sur internet de flux audio, vidéo et data que la SAT a utilisée avec succès pendant les Olympiques de Vancouver (2010). «Ce projet-pilote nous permettra d'occuper le territoire en reliant 20 salles de spectacle et 10 lieux autochtones. Il est temps d'en finir avec la notion des régions...»

Vaste consultation

Cette Stratégie culturelle numérique est le fruit de l'une des plus vastes consultations de l'histoire du ministère de la Culture, qui en a fait beaucoup au fil des ans, des consultations tenues par les instances mêmes qui auront à gérer les politiques dans leurs champs respectifs - le Conseil des arts et des lettres du Québec, la SODEC, BAnQ, Télé-Québec -, à l'apport desquels s'est ajouté celui des musées nationaux et des conservatoires, de la Place des Arts et du Grand Théâtre de Québec. «Nous avons ratissé large», a déclaré Maka Kotto, chaleureusement applaudi à la fin de sa présentation.

Tous s'entendent pour dire que le retard du Québec en matière numérique est immense - «Notre signature est pâle», dira M. Kotto à La Presse -, mais le «cadre» dévoilé hier a semblé bien accueilli. Michèle Fortin, PDG de Télé-Québec, a vu neiger pas mal depuis 30 ans: «Tout le monde fait des miracles ces années-ci, mais, je dois le dire, j'ai rarement vu un tel enthousiasme pour un projet commun.»