Fred Pellerin, Pierre Lapointe, Ariane Moffatt, Guy A. Lepage et Louis-José Houde forment de vieux couples avec leurs imprésarios-amis. À une semaine du gala de l'ADISQ, qui célèbre cette année ses 35 ans, ils nous présentent ces personnes sans lesquelles rien ne serait pareil pour eux.

ARIANE MOFFATT + STÉPHANIE MOFFATT : SOEURS AMIES

Sept années séparent leurs naissances. Plus jeunes, elles n'étaient même pas proches. Or, au bout de presque 10 ans à concilier travail et famille, Ariane Moffatt dit qu'avoir sa soeur auprès d'elle à titre de manager «allait de soi».

Tapie dans l'ombre

Grande soeur et protection vont de pair dans la tête d'Ariane Moffatt. Sa soeur Stéphanie, qui a une formation d'avocate, n'a pas toujours été son manager, mais elle s'est mis le nez dans ses affaires dès son premier contrat avec Audiogram, au début des années 2000. «J'avais embauché un avocat spécialisé en musique, parce que je ne connaissais rien à ce milieu, raconte-t-elle. Il était clair avec Audiogram, à ce moment-là, que je n'allais pas faire le travail, mais que je regarderais par-dessus l'épaule d'Ariane.»

L'appel

«Après Aquanaute, j'ai senti que la meilleure personne pour me représenter, c'était ma soeur», raconte Ariane Moffatt. Elle évoque le lien de confiance qui la liait à elle, sa foi en ses compétences et ses qualités humaines, même si elle avait «tout à apprendre» du milieu dans lequel elle évoluait. Stéphanie, à cette époque, était partie à l'autre bout du monde en quête de son «moi intérieur». «Je me souviens qu'Ariane m'a écrit et m'a dit: «ça suffit, tu as assez joué, j'ai besoin de toi», raconte-t-elle. Je suis rentrée.»

Complicité tardive

Stéphanie Moffatt a donc sept ans de plus que sa célèbre petite soeur. Une différence d'âge qui fait que, plus jeunes, elles n'étaient pas très proches. «On s'est découvert des affinités au début de sa vie adulte, quand elle a eu environ 20 ans», affirme Stéphanie. Ariane, elle, remonte un peu plus loin, à ses 16 ans, époque où elle chantait du Tori Amos en s'accompagnant au piano. «Stéphanie avait déjà le réflexe d'emmener ses amis d'université dans la salle... qui était ma chambre!»

Valeurs communes

«L'important, c'est d'avoir la même vision, les mêmes envies, les mêmes valeurs», juge Stéphanie Moffatt. Quelles sont ces valeurs qui les lient? «L'intégrité, dans toutes les sphères. Ariane essaie d'être la plus près d'elle-même et la plus intègre dans ce qu'elle ressent et ce qu'elle livre.» Ariane ajoute: l'humanité. «Ce que j'aime avec Stéphanie, c'est que j'ai la conviction que son interlocuteur sera toujours traité avec respect. Même si on n'est pas intéressées par telle ou telle collaboration, les choses vont être faites avec humanité. C'est une valeur que j'ai envie de véhiculer moi aussi.» - Alexandre Vigneault

FRED PELLERIN + MICHELINE SARRAZIN : LE CONTEUR ET SA LOUVE

Il l'appelle affectueusement «Mich», et elle lui répond de sa voix calme. Lui, c'est le conteur Fred Pellerin. Elle, c'est son imprésario Micheline Sarrazin. Conférence téléphonique à trois, alors que Fred est en tournée à Bordeaux.

Votre première rencontre?

Micheline Sarrazin: On était au Café République. Fred, tu t'en rappelles?

Fred Pellerin: Une diffuseuse, Diane Perreault, nous avait mis en contact. Je cherchais quelqu'un de pognable au téléphone. J'étais avancé avec mon deuxième spectacle et je commençais à tourner en France. Ça sonnait chez nous la nuitte à cause du décalage. La patente show-businesseuse commençait à gruger mon temps de création.

Quel est le rôle de Micheline?

Fred Pellerin: Elle est une louve en affaires. Si elle passe dans la trail, je peux passer deux fois de large.

Micheline, quel est le défi de gérer la carrière d'un conteur?

Micheline Sarrazin: Nous avons eu beaucoup, mais vraiment beaucoup d'offres de festivals d'humour. Nous avons toujours refusé pour que Fred reste unique. J'aime faire les choses avec le coeur.

Fred Pellerin: Le conte avait plus besoin de moi que l'humour. Je voulais garder une indépendance de quelque chose qui doit faire rire. Je suis un conteur, pas un faiseur de rires. En spectacle, je me joue aussi dans le bobo.

Racontez-moi vos discussions quand Fred a été invité à chanter avec Céline Dion à Paris?

Micheline Sarrazin: C'est très drôle...

Fred Pellerin: René a appelé chez nous, car il était tombé sur la boîte vocale de Micheline. Ma blonde pensait que quelqu'un nous jouait un tour. [...] Au début, la proposition était un spectacle d'envergure [au Colisée]. Ça me faisait peur de chanter devant des danseurs, pis toute. On a reculé, Mich et moi on s'est parlé, puis M. Angelil a demandé ce qu'on voulait. Je voulais que mon frère soit là et que Mme Dion et moi chantions simplement tous les deux.

Fred est un symbole de sagesse et d'intégrité. Est-ce difficile à préserver?

Fred Pellerin: Je suis raccord entre ce que je fais à la télé et comment je suis chez nous. Je ne veux conquérir rien. J'essaie de me regarder dans les yeux.

Vos pires défauts?

Fred Pellerin: Mich est une ponctuelle en retard de 20 minutes. On l'appelle pour commander pour elle au resto. C'est facile, c'est toujours du saumon.

Micheline Sarrazin: Quand Fred en a trop dans le calendrier, il faut le popopper. - Émilie Côté

Photo: Olivier Jean, La Presse

Micheline Sarazin, manager de Fred Pellerin.

LOUIS-JOSÉ HOUDE + BENJAMIN PHANEUF : UNE ÉQUIPE SANS PRÉSIDENT

Louis-José Houde ne cache pas qu'il a essuyé quelques échecs professionnels avant de rencontrer Benjamin Phaneuf. «Je me suis fait renvoyer de quelques radios et télés, dit-il. Je n'étais vraiment pas bon dans ce genre de truc [rires]. Je savais que je voulais me consacrer à la scène, donc je négligeais le reste.»

Mais depuis son alliance, il y a 12 ans, avec son imprésario et producteur Benjamin Phaneuf, il est conscient de surfer sur une belle vague. «Nous calculons pas mal avant de prendre des décisions. Nous sommes assez prudents», précise l'humoriste, qui animera pour la huitième année consécutive le gala de l'ADISQ, le dimanche 27 octobre.

Leur recette est simple: les deux trentenaires forment une équipe. Pas question d'avoir un patron et un exécutant. Les deux font la paire.

«Si le gérant se prend pour un patron, ta carrière peut prendre des directions que tu ne souhaites pas. Je ne voulais pas que ça m'arrive. Dans notre équipe, il n'y a pas de président», dit celui qui offre cet automne 54 représentations des Heures verticales.

Il ajoute que pour former un bon duo imprésario-artiste, il faut avoir une belle chimie et quelques points en commun. «On a passé beaucoup de temps ensemble, surtout les premières années, dit Benjamin Phaneuf. Nous avons tellement mis de temps et d'énergie dans la carrière de Louis-José.»

À propos de l'horaire très chargé de l'humoriste, l'imprésario et producteur jure que ce n'est pas lui qui tord le bras de son ami. Louis-José Houde le confirme: «Il voudrait que je ralentisse. Moi, je veux continuer, je veux faire beaucoup de spectacles. Ce n'est pas lui qui me met de la pression, c'est moi.»

Devant cet aveu, Benjamin Phaneuf sourit. Il connaît bien son complice et il sait que le travail, et surtout le travail bien fait, est primordial pour lui. «Par exemple, en ce moment, il se prépare pour l'ADISQ. Eh bien! je peux l'appeler pendant deux semaines et il ne me répondra pas. C'est correct, parce que je le connais. Je le sais, qu'il est focussé sur son travail et qu'il va donc arriver le jour du gala surpréparé.»

C'est ce que nous verrons le 27 octobre. Et, bien sûr, Benjamin Phaneuf sera dans la salle pour applaudir son protégé. - Véronique Lauzon

Photo: Alain Roberge, La Presse

Louis-José Houde et Benjamin Phaneuf.

GUY A. LEPAGE + JACQUES PRIMEAU : 30 ANS DE MARIAGE

Il y a 30 ans déjà, Jacques Primeau a rencontré Guy A. Lepage et la bande de Rock et Belles Oreilles à la radio de CIBL. Le directeur de la promotion allait suivre les pas de l'humoriste et animateur jusqu'à Un gars, une fille et Tout le monde en parle.

Une route imprévisible

Avant de devenir l'imprésario «temporaire» de Rock et Belles Oreilles, Jacques Primeau aspirait au titre de journaliste municipal. Il est plutôt devenu un artisan et «un activiste» culturel qui a notamment travaillé à la présidence de l'ADISQ et au conseil d'administration du Quartier des spectacles. «Jacques et moi avons appris nos métiers en même temps, souligne Guy A. Lepage. Jacques est mon représentant, mon conseiller, mon ami, un psychologue, un punching-bag et le tampon quand il y a de la chicane... Il était le cinquième RBO, le troisième d'Un gars, une fille et le troisième de Tout le monde en parle

De précieux conseils

«Dans ma carrière, j'ai tout négocié avec Jacques», lance Guy A. Lepage, que ce soit la première tournée québécoise de Rock et Belles Oreilles ou la vente des droits à l'international d'Un gars, une fille. «Ses conseils les plus précieux étaient sans doute médiatiques. Es-tu certain que c'est ce que tu veux dire? Es-tu mieux de respirer par le nez? On s'entend que c'est lui qui a eu le trophée de l'ADISQ dans la face.»

30 ans de mariage

«À notre première rencontre, il était un jeune baveux drôle et tranchant, et cela n'a pas changé depuis 30 ans», lance Jacques Primeau. Guy A. Lepage se dit fidèle depuis 30 ans, alors que Jacques «s'est épivardé» dans d'autres «aventures» et expériences de gérance avec Louise Forestier, Jim Corcoran et Pierre Flynn. Mais quand vient le temps de négocier, Guy préfère les engagements à court terme, alors que Jacques préfère la sécurité. «C'est une affaire de liberté et on s'est rangés à ça: un an à la fois. Aujourd'hui, on négocie avec la même philosophie du premier contrat de Rock et Belles Oreilles. Ce qui a changé, c'est que nous étions une équipe d'attaquants, alors qu'aujourd'hui, on protège l'avance.»

Des tempéraments opposés

Homme de réflexion, Jacques Primeau parle lentement, avec un certain recul. Homme d'action, Guy A. Lepage suit ses instincts. «Guy a un excellent jugement et il a une capacité de trancher rapidement. On le voit dans le montage de Tout le monde en parle, dit son imprésario. C'est un leader naturel qui démontre son point de vue au lieu de l'exposer. Sa moyenne au bâton est excellente.» «Étrangement, Jacques aime discuter et il n'aime pas les conflits. Je pense que c'est un maso, car il s'est retrouvé le gérant de Rock et Belles Oreilles.» - Émilie Côté

Photo: Olivier Pontbriand, La Presse

Guy A. Lepage et Jacques Primeau.

PIERRE LAPOINTE + JOCELYNE RICHER ET MICHEL SÉGUIN : «NON, CE NE SONT PAS MES PARENTS!»

Bien des artistes ont une personne de confiance. Pierre Lapointe en a deux: Jocelyne Richer et Michel Séguin, couple uni dans la vie comme dans la gestion de ses affaires. Extraits d'une conversation chaleureuse.

Quels sont vos rôles respectifs?

Michel Séguin: Lui, c'est facile, il essaie de chanter...

Pierre Lapointe: Moi, j'essaie de chanter... et j'arrive avec des projets. Michel arrive aussi avec des projets et s'occupe de la planification stratégique.

Michel Séguin: Jocelyne fait surtout les relations de presse, le booking, la gestion de l'entreprise.

Jocelyne Richer: Et la gestion des horaires de tout le monde! Michel, il négocie les contrats.

Pierre Lapointe: Avec la maison de disques, c'est lui qui a le sale rôle. Je peux le dire, hein? Il est le chien de garde de notre affaire. Alors moi, les relations que j'ai avec les gens chez Audiogram, c'est pour tripper et être productif. Lui, c'est les négociations plus serrées. Des fois, il ne dort pas à cause de ça. Moi, je ne dors pas à cause du stress d'un show...

Jocelyne Richer: Et moi, je ne dors pas à cause des rapports que j'ai à faire pour les demandes de subvention. C'est chacun son tour!

Pierre Lapointe: On a chacun nos moments où le stress est dans le tapis, mais le travail de chacun fait qu'on peut se concentrer sur notre propre stress sans angoisser pour les autres aspects. C'est une formule gagnante.

Vous avez formé une société dans laquelle vous êtes tous partenaires, mais où Pierre Lapointe est majoritaire. Comment cette structure s'est-elle imposée?

Michel Séguin: Jouer au père, ça ne me tentait pas. Je me suis dit que la seule façon de me sentir partie prenante du projet, c'était que Pierre et Jocelyne le soient aussi. On est tous responsables.

Pierre Lapointe: Ce genre d'association-là, c'est du sur-mesure. Michel et Jocelyne sont des personnes qui font confiance et qui, de manière ludique et légère, responsabilisent les gens autour d'eux. Il n'y a rien d'infantilisant dans notre rapport. On entend des artistes qui disent qu'ils se sont fait avoir de tant de milliers de dollars. Moi, il n'y a pas un chèque qui sort sans que je l'aie cosigné. Et l'entente qu'on a, elle fait mon affaire. Quand on a senti que ça commençait à lever, Michel m'a proposé qu'on travaille avec Jocelyne. C'est con, mais ça me sécurisait que le couple embarque.

Jocelyne Richer: Ah! Tu y avais pensé!

Pierre Lapointe: C'était à double tranchant, parce que si le couple se mettait à mal aller, l'entreprise aussi... Je me suis retrouvé avec un service cinq étoiles. C'est facile à dire maintenant, mais j'ai eu un bon feeling dès le départ.

Jocelyne Richer: Au début, tu entrais sur un plateau et tu capotais. Il était nerveux, il avait le syndrome de l'imposteur et il voulait être protégé. Alors, on l'a protégé!

Pierre Lapointe: Tu te crées une famille pour supprimer les moments qui sont durs sur le plan professionnel. C'est sécurisant. J'ai commencé avec eux et, ensuite, on l'a fait avec les musiciens.

Michel Séguin: J'essaie toujours de faire en sorte que Pierre soit dans le meilleur contexte pour travailler, artistiquement parlant. Tout le reste, ça passe par moi: s'il y a des plaintes des musiciens, si un contrat ne va pas... Pour que Pierre soit libéré de tout ça, qu'il n'ait pas à décider de choses plus ou moins agréables. - Alexandre Vigneault

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

Pierre Lapointe et ses managers, Jocelyne Richer et Michel Séguin.

OLIVER JONES + JIM WEST : UN VIEUX COUPLE

Le célèbre pianiste montréalais Oliver Jones et Jim West, propriétaire de l'étiquette Justin Time, travaillent ensemble depuis plus de 30 ans. Dans le monde changeant de la musique, on peut parler d'un record. Entretiens séparés, pensée commune...

Oliver Jones, comment Jim est-il devenu votre manager?

Oliver Jones: Revenu à Montréal pour de bon en 1980, je jouais dans le trio maison du Biddle's avec Charlie Biddle et Bernard Primeau. Jim venait nous voir, on se parlait et c'est ainsi que j'ai fait mon premier disque sur Justin Time, son étiquette. Au début, il était mon producteur de disques, puis il est devenu mon ami et mon manager.

Jim West, en quoi la carrière d'un jazzman diffère-t-elle de celle d'un autre type d'artiste?

Jim West: Pour avoir commencé dans le milieu du rock, je peux dire que c'est très différent. Avec 3% des ventes, le jazz représente un créneau très étroit du marché de la musique. Le niveau de compétence musicale, par contre, y est plus élevé: personne ne disait à Miles Davis comment jouer de la trompette...

Quelle est la qualité principale d'une relation artiste-manager?

Oliver Jones: L'honnêteté, qui n'est pas la qualité la plus répandue dans le milieu, et la confiance qui en découle. C'était ça au début et c'est encore ça aujourd'hui. Je sais que je peux me fier à Jim, quelles que soient les circonstances.

Jim West: La confiance... Et c'est pourquoi nous sommes ensemble depuis 30 ans. Quand nous acceptons un engagement de ses agents, Oliver sait qu'il n'y aura ni pépins ni surprises, et moi, je suis certain qu'Oliver, intelligent et généreux, va adapter son programme au public dans la salle. Confiance totale, des deux côtés.

Quel est l'aspect le plus difficile pour le manager d'Oliver Jones?

Oliver Jones: Ça doit être qu'Oliver Jones n'est pas capable de dire non... Surtout quand il est question de concerts-bénéfice pour les enfants: j'en fais une dizaine par année, surtout dans les écoles. Je suis fier de ma ville et j'essaie de lui remettre un peu de ce qu'elle m'a donné.

Jim West: Il faut le protéger contre lui-même. Oliver est trop gentil, il est incapable de refuser une demande. Une fois, il m'a appelé de Floride, où il passe six mois par année: «Je dois rentrer à Montréal pour un concert...» Il n'y avait aucun concert à son horaire. J'ai dit: «Oliver, tu restes là!» Oliver a maintenant 80 ans et il doit penser à lui.

En conclusion...

Oliver Jones: Si j'ai vendu plus de disques que n'importe quel jazzman canadien, sauf Oscar (Peterson), c'est grâce à Jim West. Le jazz canadien doit s'estimer chanceux d'avoir un homme comme lui.

Jim West: Avec Oliver, la recette est simple: j'essaie de créer la meilleure atmosphère possible dans son entourage pour faire fleurir son incommensurable talent. Ça ne rate jamais. - Daniel Lemay

Photo: fournie par Justin Time Records

Jim West