Dans les années 70, Montréal était l'étape obligatoire des groupes anglais de rock progressif qui voulaient conquérir l'Amérique. Steve Hackett, de Genesis, et Roger Hodgson, de Supertramp, que le hasard ramène à Wilfrid-Pelletier en octobre, y ont toujours un noyau de fans fidèles.

Roger Hodgson vante la sensibilité du public québécois, avec lequel il entretient toujours une relation «intime» et qui, malgré l'obstacle de la langue, a toujours eu une «compréhension profonde» de ses chansons. Steve Hackett, quant à lui, estime que nos racines catholiques ont sans doute eu quelque chose à voir avec la ferveur des amateurs de rock progressif d'ici dans la mesure où le prog flirtait avec la mythologie et aimait bien raconter des histoires.

Genesis et Supertramp ne faisaient pas du tout le même genre de musique, mais il fut un temps où on leur accolait la même étiquette un peu fourre-tout de rock progressif qui englobait Emerson, Lake and Palmer, Pink Floyd, Yes, King Crimson, Gentle Giant et Van der Graaf Generator. Cette musique ambitieuse, aux pièces plus longues que la moyenne, faisait alors le bonheur d'une radio FM en pleine éclosion.

Steve Hackett, pour qui la musique progressive est «du cinéma pour les oreilles», insiste sur le métissage qui la caractérisait. «C'était du vrai vol! dit en rigolant le guitariste de Genesis. Moi-même, j'ai pigé dans le blues, le baroque, le classique, la musique romantique, le jazz, le blues et les musiques de plusieurs pays. La musique progressive, c'est le contraire du nationalisme musical: une tentative de faire le pont entre les cultures.»

Une expérience intime

Montréal a changé depuis les années 70, mais Hodgson et Hackett y reviennent régulièrement pour renouer avec un noyau d'admirateurs fidèles. Il fallait voir Greg Lake et Keith Emerson être à tu et à toi avec leurs fans au Théâtre Maisonneuve en 2010, un phénomène impensable à l'époque où ces demi-dieux triomphaient au Forum ou au Stade olympique.

«Les applaudissements de 50 000 spectateurs au Stade olympique ne se comparent pas à ceux de 400 personnes au Gesù [où Greg Lake a chanté deux soirs l'an dernier], mais l'amour qui se dégage dans ces spectacles intimes est vraiment extraordinaire», explique Kim Zimmer, dont la société Get It Promotions, en association avec Stephen Takacsy de l'ex-Festival des musiques progressives de Montréal, a ramené ici les Strawbs, Babe Ruth, Asia et autres UK au cours des dernières années.

«Le Québec est encore l'endroit au monde où on écoute le plus de rock progressif par habitant et c'est peut-être encore plus élevé à Québec même», affirme Takacsy qui a réédité 40 albums québécois du genre en 10 ans avec son label ProgQuébec, versant à ces artistes des redevances de plus de 110 000 $. C'est grâce à lui que l'ex-Maneige Jérôme Langlois va jouer en première partie du concert de Steve Hackett, le 3 octobre.

Médias sociaux

Ce public de prog vieillissant et pas très branché sur les médias sociaux, Takacsy réussit à le fidéliser avec le site web de ProgQuébec. Mais si le public vieillit, la relève des musiciens de prog tarde également à se manifester. «Il y a plein de nouveaux groupes, mais ce marché est tellement underground et marginal qu'ils en font juste pour le plaisir en se fiant uniquement à l'internet comme moyen de diffusion», estime Takacsy.

Steve Hackett voit les choses autrement. «En Angleterre, c'est un genre qui n'est jamais disparu. Des groupes comme Muse et Elbow ont des racines dans la musique progressive, mais ne se qualifient pas de prog et ne sentent pas la nécessité de plaire à un auditoire de puristes. De toute façon, je les mettrais en garde contre le besoin d'écrire à tout prix des oeuvres épiques. Une pièce courte peut très bien faire l'affaire. Horizons, que j'ai écrite pour Genesis, ne durait qu'une minute et demie...»

Steve Hackett: faire revivre Genesis

En 2005, les cinq ex-Genesis se sont réunis à Glasgow dans le but de rejouer sur scène The Lamb Lies Down On Broadway. Finalement, Peter Gabriel s'est désisté. Steve Hackett aurait bien voulu repartir en tournée avec les trois autres, mais Tony Banks lui a répondu que sans Gabriel, c'était hors de question.

«Comme ça ne se fera probablement jamais, j'ai eu le goût de rejouer ces chansons dont je suis très fier, explique le guitariste au téléphone. Il a fallu que je répète pendant trois mois. Depuis que j'ai quitté le groupe, j'ai fait des choses plus exigeantes sur le plan technique, mais le répertoire de Genesis est un bon test pour la mémoire.»

Hackett, qui a vécu quelques années au Canada pendant son enfance - sa première guitare provenait d'ici -, a enregistré l'album double Genesis Revisited II et a donné une série de concerts en Europe avant de s'amener à Montréal où Genesis a joué pour la première fois, au CEPSUM, il y a 40 ans.

«Je n'essaie pas de recréer cette période: je n'ai pas le même pantalon que j'avais à l'époque ni le même veston couleur fraise, dit Hackett en riant. Mes deux critères sont l'authenticité et la passion. Les gars avec qui je travaille jouent cette musique comme si elle leur avait toujours appartenu. C'est un défi pour le chanteur Nad Sylvan, mais il a une voix qui sonne comme du Genesis.»

PHOTO LEE MILLWARD

Avec Genesis Revisited, Steve Hackett veut revivre la musique, mais pas l'époque de la populaire formation. 

Roger Hodgson: pas nostalgique

Avant de reprendre la route, l'imprésario de Roger Hodgson lui a suggéré de baptiser sa tournée du nom de l'album le plus populaire de Supertramp: Breakfast in America.

«Je n'ai pas le droit d'utiliser le nom Supertramp que j'ai donné, à tort ou à raison, à Rick [Davies] quand j'ai quitté le groupe, explique Hodgson au téléphone. Or le grand public ne connaît pas nécessairement Roger Hodgson, surtout aux États-Unis. Au Québec, évidemment, je n'ai pas besoin d'appeler ça Breakfast in America

Après une éclipse de près de 20 ans, Hodgson a remis les pieds à Montréal avec le groupe de Ringo Starr au début des années 2000 un triomphe. Depuis, il revient régulièrement: on l'a vu à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Chicoutimi il y a quelques mois et il était même de la finale de Star Académie en 2009 pour offrir ses conseils aux jeunes chanteurs.

À Wilfrid-Pelletier, Hodgson et ses quatre musiciens vont piger abondamment dans le répertoire de Supertramp, dont il a écrit les chansons les plus connues. «Elles ne sonnent pas comme de vieilles chansons parce qu'elles sont très personnelles, dit-il. Les gens le sentent et ça ne ressemble pas du tout à un show nostalgique. Supertramp était un très bon groupe, mais mes musiciens actuels lui sont supérieurs. Et je chante mieux qu'à l'époque de Supertramp.»

PHOTO ROB SHANAHAN, ARCHIVES LA PRESSE

Roger Hodgson