Ce soir, si le bal des Grands Ballets canadiens au parc Jarry affiche complet, c'est la faute d'Isabelle Hudon. En quelques mois, la présidente de Sun Life au Québec, mécène corporative et grande vendeuse de tables, a réussi à doubler l'assistance du bal, amassant ce qu'elle avait promis: au moins 1 million.

Devant le bureau d'Isabelle Hudon, au 6e étage de l'édifice Sun Life, une magnifique sérigraphie d'Alfred Pellan intitulée Olivia accroche le regard. Le dessin, tout en arabesques mauve et rouge, représente une dame de coeur en tenue de bal. Le dessin semble fait sur mesure pour Isabelle Hudon qui l'a acheté lors d'un encan qu'elle avait elle-même organisé pour ramasser des fonds pour le Musée des beaux-arts du Québec.

Chaque année, une trentaine de bals de bienfaisance se déploient dans la nuit à Montréal. Isabelle Hudon n'en manque pratiquement aucun, parfois à titre de présidente d'honneur (pour le Musée d'art contemporain et pour les Grands Ballets), parfois comme bon et généreux soldat corporatif, qui d'une signature de chéquier peut acheter une table à 25 000$ et parfois 50 000$ et y inviter clients et amis. Ça c'est sans compter les cocktails-bénéfices, les encans silencieux et autres soirées mondaines.

Le jour de notre rencontre, Hudon avait inscrit, dans son carnet de bal, le bal de la Croix-Rouge le soir même, et le lendemain la soirée VP de la Foire Papier, tout cela deux jours avant le bal des Grands Ballets.

La dynamique blonde de 46 ans m'a accueillie tôt un matin, à l'édifice Sun Life, en Chanel de la tête aux pieds (sac à main inclus), avant de m'entraîner dans son bureau noir et blanc avec un bouquet fané de tulipes jaunes pour seule tache de couleur.

La dernière fois que je l'avais interviewée, Isabelle Hudon était présidente de la Chambre de commerce de Montréal, la première femme à occuper ce poste. C'était un mois avant qu'elle ne le quitte pour prendre la direction de l'agence de pub Marketel qu'elle a quittée 18 mois plus tard, sans donner de raisons. À l'époque, les gens influents du Tout-Montréal la voyaient à la tête de la mairie de Montréal. Ils avaient oublié que la belle avait vu son père - Jean-Guy Hudon - s'épuiser à faire de la politique comme député de Beauharnois pour les conservateurs de Mulroney. Et qu'elle-même mariée à l'époque à l'adjoint du premier ministre Mulroney, Paul Smith, en avait vu de toutes les couleurs, au point de ne plus rien vouloir savoir de la politique.

La proposition de Sun Life Canada, qui a créé un poste sur mesure pour elle en 2010, est tombée à point. Et d'autant plus que cette compagnie d'assurances, fondée à Montréal au début du siècle dernier, a un programme de commandites axé autour de deux piliers, la santé et le dada d'Isabelle: les arts et la culture. Son budget de commandites en culture avoisine le million par année, ce qui signifie qu'Isabelle Hudon est une fille très populaire...

«Mon mandat, c'est d'abord de générer de la croissance et d'augmenter la part de marché de Sun Life au Québec. Mais pour ça, il faut tisser des liens avec la communauté. La Sun Life ne me demande pas de faire de la représentation dans les bals et les cocktails tous les soirs. Si je le fais, c'est que c'est dans ma personnalité. Je connais beaucoup de monde, ça aide. Mais surtout, je crois foncièrement que le rôle d'un citoyen corporatif comme la Sun Life, c'est de soutenir, c'est sûr, mais pas juste en donnant de l'argent. En s'impliquant personnellement dans les causes et en y mettant du temps. Donner de l'argent pour avoir ton logo dans un événement, à mon avis, ça ne suffit pas.»

Lorsque la direction des Grands Ballets a sollicité l'aide d'Isabelle Hudon, elle a dit oui, mais à une seule condition: elle voulait que ça ne soit rien de moins qu'un succès. Retentissant. Le mot est d'elle.

Viser la lune

«Moi, quand j'embarque dans un projet, dit-elle en paraphrasant un gourou américain, je vise la lune, et si je ne l'obtiens pas, je suis au moins assurée de retomber parmi les étoiles. J'ai dit aux gens des Grands Ballets: on ne fera pas tout ça pour moins de 1 million. J'ai senti qu'ils étaient un peu pris de vertige. Mais moi, il faut me dire non au moins 22 fois avant que je baisse les bras.»

Pour le bal des Grands Ballets, Hudon a réuni un comité d'honneur exclusivement féminin, histoire de se démarquer du lot. Puis, elle a fait aller son puissant réseau de contacts dans les milieux d'affaires. L'an passé, à pareille date, le bal des GBC avait attiré 550 personnes et amassé 600 000$. Cette année, 1000 personnes ont réservé. Les billets uniques sont de 600$, auxquels s'ajoutent des tables allant de 6000$ à 25 000$, assurant une collecte de fonds d'au moins 1 million.

«T'es-tu déjà mis le pied dans un chausson de ballet? me demande-t-elle à brûle-pourpoint. Moi, oui, et ça fait mal, très mal! Je n'en reviens jamais de la discipline et de la rigueur que ça prend pour danser.»

Dans son ancien bureau à la Chambre de commerce, Isabelle Hudon avait la photo d'une ballerine en évidence sur un mur. C'était en hommage à celle qu'elle rêvait d'être, petite, alors qu'elle n'avait ni la grâce ni la taille filiforme pour y parvenir. Son admiration pour les ballerines, qui représentent à ses yeux la quintessence d'une féminité disciplinée, est de toute évidence ce qui l'a poussée à vouloir aider les Grands Ballets. Mais il y a aussi une autre raison: «Dans le monde des commandites corporatives, la culture n'est jamais une priorité et la danse encore moins. C'est le parent pauvre des arts. Or, ils méritent qu'on les soutienne à la même hauteur que les autres.»

Le mois dernier, Isabelle Hudon a terminé son mandat comme présidente du Collectif des festivals montréalais. Elle n'a pas sollicité de nouveau mandat, mais a recommandé au gouvernement de poursuivre ce projet-pilote qui, pour une rare fois, a réuni autour d'une même table 11 directeurs de festivals, autrefois concurrents. «Au départ, tout le monde cachait un peu son jeu, mais très vite, tous ont compris la valeur ajoutée de travailler ensemble. L'expérience a été très concluante.»

Elle est un peu moins élogieuse au sujet du projet Montréal Métropole culturelle qu'elle a lancé avec Simon Brault, en 2007. «On aurait pu faire plus, dit-elle. Il y avait un plan d'action à implanter, des coups de barre à donner, un suivi à faire. Tout cela ne bouge pas assez vite à mon goût. J'aurais rêvé d'un mobilier urbain distinctif partout à travers la ville, qu'on demande au Cirque du Soleil d'habiller les taxis de Montréal et qu'on insiste sur une signature soulignant la créativité de Montréal, mais il n'y a pas eu de suivi. Heureusement, il y a le Quartier des spectacles qui est une grande réussite.»

Le printemps à Montréal est autant la saison des bourgeons que celle des bals. Le carnet d'Isabelle Hudon est déjà plein. Quant aux robes de bal, elle les fait faire sur mesure par le designer montréalais d'origine vietnamienne Duy. Comme ça, elle ne risque pas de croiser une autre qui porte la même robe qu'elle. On est la reine du bal ou on ne l'est pas.

1. Les Grands Ballets Canadiens

Pour la ballerine qu'elle a rêvé d'être petite et qui représente à ses yeux la quintessence de la féminité disciplinée.

2. Le Collectif des festivals montréalais

Même si son mandat à titre de présidente est terminé, elle a recommandé au gouvernement de reconduire ce projet pilote.

3. L'art contemporain

Elle ne collectionne pas mais elle adore l'art contemporain, et encore davantage le bal annuel du Musée d'art contemporain.

4. Le Théâtre d'Aujourd'hui

Pour ses Soirées B où des gens d'affaires viennent jouer des extraits de pièces. Isabelle achète les billets mais a toujours refusé de jouer.