Quand Pierrette Robitaille a reçu un appel de Denis Côté,  cinéaste de la marge à des années-lumière de son univers, elle n'est pas tombée en bas de sa chaise. Quand il lui a offert un premier rôle dans Vic et Flo ont vu un ours non plus. Elle s'est contentée de lui demander: pourquoi moi? Pierrette Robitaille attend toujours la réponse et l'aura peut-être demain à Berlin lors de la première du film en lice pour l'Ours d'or.

Pierrette Robitaille vit dans une petite rue paisible à Longueuil depuis des années. On reconnaît son bungalow parmi tous les autres à cause des décorations enroulées autour de la gloriette devant la porte. L'agencement de fleurs, de tulle et de lumières fait penser à un décor de théâtre. Et c'est de circonstance puisque le théâtre, c'est presque toute la vie de Pierrette Robitaille, été comme hiver, dans la jeune vingtaine comme dans la soixantaine, dans les Fridolinades de Gratien Gélinas, la Laura Cadieux de Michel Tremblay ou la Shirley Valentine de Willy Russell.

Depuis qu'elle est sortie du Conservatoire d'art dramatique de Québec en 1976, Pierrette Robitaille n'a cessé de jouer au théâtre, offrant sans relâche au public son sens inné de la comédie, son visage expressif et sans complexes, et cette voix à la fois sèche et haut perchée qui mitraille les répliques.

Pierrette Robitaille est l'actrice comique par excellence, mais en réalité, c'est une tragédienne dans l'âme, habitée par une sensibilité à fleur de peau. «J'ai toujours abordé les textes comiques comme s'il s'agissait d'une tragédie. Parce que les gens qui font rire sont des losers qui refusent d'être des victimes. Il y a de la détresse dans la comédie et j'essaie d'explorer ce filon-là, mais ce n'est pas tout le monde qui le voit», affirme la comédienne dans sa cuisine, qui n'a rien de chic et de branché: une cuisine ordinaire pour une actrice humble et humaine.

Pierrette Robitaille ne sait pas ce que Denis Côté a vu en elle quand il l'a appelée il y a deux ans pour incarner Victoria, cette ex-détenue qui essaie se refaire sa vie avec Florence (Romane Bohringer), autre ex-détenue, dans une cabane à sucre perdue dans le bois.

Contre-emploi

En réalité, on devine qu'au-delà du contre-emploi évident, le cinéaste a vu chez Pierrette Robitaille un talent non pas de comique, mais de comédienne tout court, avec ce que cela implique d'humanité, de sensibilité et de présence à l'écran, même si elle n'est pas la plus jolie des actrices. «C'est le fun quand quelqu'un te regarde autrement, dit-elle. Ça fait du bien. Cela dit, je ne suis pas en train de me plaindre. La comédie a pris beaucoup de place dans ma vie; c'est correct, je suis très à l'aise avec ça. Mais le rôle de Victoria, c'est comme un cadeau du ciel qui m'a permis de faire mon métier pour de vrai, c'est-à-dire en jouant quelque chose de très, très loin de moi.»

La comédienne raconte que tout pendant toute la durée du tournage, dans la région de Nicolet, elle ne se reconnaissait plus. «Je n'étais pas la Pierrette comique et boute-en-train qui est tout le temps en train de s'occuper du monde, de  toucher ou de minoucher les gens. Là, tout naturellement, j'ai gardé mes distances. Je me suis faite discrète pour être plus proche de mon personnage.»

Avant d'entreprendre le rôle, Pierrette Robitaille a rencontré une ex-détenue, pour voir ses yeux et sentir son énergie. Ironie du sort, Micheline Lanctôt a consulté la même ex-détenue pour son rôle dans Unité 9. Mais connaissant Denis Côté, il y a peu de chances que les deux rôles - et surtout que les deux univers - se ressemblent ou se rejoignent.

Au moment de notre rencontre, Robitaille était au milieu d'une tournée québécoise du Réveillon, une comédie qu'elle a jouée tout l'été au Théâtre des Hirondelles. Elle n'avait pas encore eu la chance de voir Vic et Flo, mais elle se promettait de le faire avant son départ pour éviter d'avoir un choc à Berlin.

«Ce qui va m'importer le plus quand je vais regarder le film, ce sera la crédibilité. Si je suis crédible à mes yeux, alors ça va. Je me soucie bien plus de l'authenticité de mon jeu que de mon image. En réalité, je ne me suis jamais occupée de mon image. Peut-être que j'aurais dû m'en occuper davantage, je ne sais pas. Mais je ne suis pas de l'école du paraître et surtout, je suis consciente que ce n'est pas à cause de ma beauté que je travaille. Comme on dit poliment, je suis une comédienne de caractère.»

Pierrette Robitaille n'avait jamais vu un film de Denis Côté avant leur première rencontre. C'est dire qu'elle n'avait jamais été en contact avec sa démarche singulière et radicale, synonyme de supplice pour les uns et de génie pour les autres. Ajoutez à cela que Pierrette Robitaille est une actrice populaire et populiste, qui a joué dans une bonne douzaine de films, mais qui pour la plupart étaient plus proches des films pop-corn que du cinéma d'art et d'essai. Se retrouver dans l'univers d'un cinéaste obsédé par la mort, par l'enfermement et par d'interminables plans fixes où il ne se passe strictement rien n'était pas sans péril pour elle. Pourtant, elle affirme qu'elle n'a jamais eu peur de se lancer dans l'aventure. Tout au contraire.

Curiosité naturelle

«Non seulement je n'avais rien à perdre, mais j'avais tout à gagner. Et puis, je suis curieuse de nature et consciente qu'il y a toutes sortes de cinémas. Certains films comme ceux de Denis existent pour déranger et confronter leurs spectateurs, et c'est très bien comme ça.»

Pierrette Robitaille est arrivée à Berlin jeudi dernier avec sa bonne humeur, son entrain, ses partenaires de jeu Marc-André Grondin et Romane Bohringer, mais sans la moindre attente ni la moindre ambition internationale. La comédienne n'a jamais été une carriériste et ce n'est pas à Berlin qu'elle va le devenir. Elle restera dans la capitale allemande jusqu'au 11 février avant de partir avec son amoureux à Prague, pour une semaine. À son retour à Montréal, elle retrouvera sa vieille complice Denise Filiatrault au Rideau Vert pour les répétitions de la pièce L'amour, la mort et le prêt-à-porter, des soeurs Nora et Delia Ephron. Le monde de la comédie la happera à nouveau, mais, cette fois, sans l'enfermer dans sa prison.