En mai dernier, plus de 40 000 Juifs orthodoxes se sont réunis dans un stade de baseball à New York. Cet événement historique avait pour but d'informer la communauté des dangers de l'internet. Le Web menace-t-il vraiment le mode de vie hassidique? C'est selon. Professeur de religion à l'Université Concordia, Steven Lapidus abordera la question dimanche au festival Le Mood. Voici son point de vue et celui d'Avraham, un Hassidim d'Outremont.

Q : Quel est l'inquiétude des Juifs orthodoxes face à l'internet?

R : C'est une immense inquiétude. Parce qu'on y offre une nouvelle forme de socialisation à laquelle la communauté n'était pas préparée. Avec cette nouvelle influence, le contrôle des membres n'est plus aussi évident.

Q : Que voulez-vous dire?

R : Avant, par exemple, quand tu voulais avoir de l'information sur d'autres religions, tu devais aller à la bibliothèque ou rencontrer des gens. Avec l'internet, tu peux faire tout cela de façon totalement anonyme. C'est une autre affaire. Le groupe devient potentiellement incontrôlable.

Q : Avec quelles conséquences?

R : Plusieurs leaders prétendent que cela fait dévier du droit chemin. C'est la raison qu'on donne le plus souvent pour l'interdire. On dit que ça va briser les familles. Nuire aux rapports humains dans la communauté. On a peur que ça incite des gens à quitter le groupe. Jusqu'à quel point est-ce que c'est vrai? Je ne le sais pas. Il n'y a pas de preuves d'une augmentation de départs depuis l'arrivée de l'internet.

Q : Depuis cinq ans, on entend pourtant beaucoup d'histoires qui parlent de ça. Articles, blogues, documentaires...

R : Est-ce que ça veut dire qu'il y en a plus, ou que ceux qui ont quitté parlent davantage? Je ne crois pas que le taux de rétention ait diminué si dramatiquement. Si tu veux quitter, tu quittes. Internet peut faciliter le départ. Mais si tu veux vraiment partir, tu vas le faire. Ce qui est vrai, par contre, c'est que l'internet a amené plus d'hassidim à s'ouvrir au monde extérieur. On le voit chez les jeunes, qui sont les premiers utilisateurs du Net. La nouvelle génération est plus ouverte, plus à l'aise. C'est ce que leurs leaders veulent éviter.

Q : Que font-ils pour enrayer ce «fléau»?

R : Certains bannissent carrément l'internet. D'autres l'autorisent seulement pour les affaires. Il y en a qui contrôlent son accès avec des programmes de filtrage qui exigent des mots de passe. Il y a même des entreprises de filtrage juives orthodoxes, qui tiennent des listes noires de sites internet. Porno? Peut-être, mais ce n'est pas ce qui les inquiète le plus... En général, les enfants et les adolescents sont les premiers visés par ces mesures. Pas de cellulaires, pas de smartphones, pas d'ordinateurs.

Q : Est-ce que ça marche?

R : C'est la question à 64 000$. Avec le sans-fil, on ne peut pas savoir à quel point le groupe se conforme. Mais plusieurs réalisent qu'il n'y aura pas de retour en arrière. C'est déjà trop répandu. Ils ont réussi à interdire la télé, parce qu'ils pouvaient s'en passer. Mais internet est indispensable. Pour les affaires, mais aussi dans la vie: le compte en banque, les résultats de tests sanguins, le camp d'été des enfants... Ils le savent. C'est pourquoi certains proposent plutôt une utilisation du Web qui serait encadrée, par exemple dans les cybercafés, où il y a quelqu'un pour superviser.

Q : Est-ce que les leaders orthodoxes pourraient retourner le Net à leur avantage?

R : Les Loubavitch (plus «progressiste» ndlr) peuvent s'en servir pour faire du recrutement. Mais la plupart des groupes hassidiques l'évitent tout simplement. Vous ne verrez pas de portail satmar.org par exemple. Ce que vous trouverez en revanche, sont des initiatives individuelles servant à informer. Beaucoup le font anonymement, de l'intérieur. Ce sont souvent des femmes, car elle n'ont pas d'autre voix. Beaucoup de jeunes sont aussi sur Facebook. Ils s'en servent surtout comme un site de rencontre. Et puis il ya des blogues qui critiquent ces communautés, souvent tenus par d'anciens hassidim, comme Failedmessiah.com, de Shulem Deen.

Q : Ultimement, c'est encore la même question: combien de temps les hassidim pourront-ils vivre en dehors du monde moderne?

R : Je ne sais pas. Ils le font depuis 200 ans.... Mais internet reste leur plus grand défi de ce côté. Tôt ou tard, ils devront y faire face...

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Logging off: Hassidim and internet. Conversations avec Steven Lapidus. Dimanche au Festival le Mood.



«Comme Sainte-Catherine à 2h du matin»

Quand l'internet est devenu omniprésent, Avraham, 29 ans, s'est demandé pourquoi sa communauté gardait le silence. "Quand j'étais enfant, tout le monde parlait des dangers de la télé et la vidéo, explique cet hassidim d'Outremont. Mais personne n'a rien dit quand les gens ont eu l'internet dans leurs poches."

À son grand soulagement, les choses ont changé. Aujourd'hui, les rabbins orthodoxes sont plus conscients des effets du Web sur leurs communautés. Et ils essaient de limiter son influence. «Bien sûr, on ne peut pas dire à tout le monde quoi faire, mais ils ont créé quelques règles générales et la majorité a accepté.»

Avraham partage le point de vue de ses leaders. Internet peut être utile, mais il faut faire attention. Même lui, qui «surfe» de temps à autres «pour des raisons académiques», avoue être tombé sur des «pop ups» inconvenants.

«Le judaisme est basé sur l'idée qu'on ne doit pas voir certaines choses parce que les yeux sont directement liés au coeur, dit-il. C'est comme se promener sur la rue Sainte-Catherine à 2 h du matin. Je ne veux pas que mes enfants aillent là-bas parce qu'ils vont voir des mauvaises choses. Des choses qui peuvent les déranger dans l'avenir.»

Il y a bien sûr des filtres comme J-Net, assez répandu dans le milieu orthodoxe. Mais au delà du «tamisage», Avraham croit que l'internet est surtout une énorme perte de temps. «J'en vois les avantages, mais ce n'est pas quelque chose qui est nécessaire pour ma communauté...»

Un festival branché

Le judaïsme est en pleine révolution. Loin de la synagogue, de jeunes Juifs se réinventent par les arts, la bouffe, la politique ou la technologie. Cette nouvelle identité, créative et multiforme, est au coeur du 2e festival «Le Mood», qui se tiendra dimanche dans le quartier Mile End. Plus culturelle que religieuse, cette journée de conférences et d'ateliers informels aborde la vie juive sous un angle à la fois sérieux et funky.

«Dans cette époque où la terre s'aplatit, la nouvelle génération s'éloigne des traditions, souligne Mike Savatovsky, organisateur du Mood. L'idée, c'est de montrer aux jeunes qu'il n'y a pas une seule façon de vivre la vie juive. On ouvre la porte à des gens qui ne sont pas nécessairement à l'aise avec les vieilles institutions et qui cherchent leur place dans l'univers.»

Plus de 110 activités sont au programme. Nos suggestions? Broken Hallelujah (la vie et la foi de Leonard Cohen), À la recherche du rabbin Glazer (visite virtuelle de l'ancien Montréal juif), Délicieuse sous tous les angles (la cuisine juive au cinéma et à la télé), L'Chaim (le whisky dans le judaïsme), Les indignés du judaïsme (les valeurs juives et Occupy Wall Street), L'arbre défendu de la connaissance (Bible et drogues psychédéliques), Punk Jews (un expression non conformiste du judaïsme) et Une palestinienne au Mood (tout est dans le titre).

Ça se passe dimanche de 8h30 à 21h30, au 6600 rue Hutchison. Programmation disponible à www.lemood.ca