«Il n'y a pas de meilleur chez-soi que le pays des mots et du sens», a lancé le coprésident du 2e Sommet de la lecture TD, qui s'est ouvert hier à la Grande Bibliothèque. Jean-François Bouchard, directeur de Bayard Canada, est l'un des deux Québécois qui participent à cette «initiative de la société civile» qui a pris naissance à Toronto avec la coprésidente Patricia Aldana, ancienne présidente de l'association internationale des éditeurs de livres jeunesse.

L'objectif du Sommet - le premier a eu lieu l'an dernier à Toronto - est la «création d'une stratégie de lecture» pancanadienne qui mènera à «une société de lecteurs et des lectrices». «Il n'y a aucune société évoluée qui ne soit une société de lettrés», a encore dit M. Bouchard ajoutant vite que la nôtre est en danger si l'on n'augmente pas la pratique de la lecture.

Le Sommet et la campagne, dont il est issu, sont commandités par le groupe bancaire TD, le commanditaire principal du Festival international de jazz de Montréal. TD appuie plusieurs programmes d'alphabétisation, dont un concours et la distribution annuelle d'un livre primé aux 500 000 écoliers canadiens de première année. TD devient aussi le commanditaire officiel (60 000 $) de l'Heure du conte de la Grande Bibliothèque (www.banq.qc.ca) qui, après les universités, obtient sa première commandite nominative.

La marche vers la «littératie» - la capacité de lire et d'écrire - commence au berceau, a expliqué pour sa part Lucie Dion qui, en 2000, avec les bibliothécaires de la région Québec-Chaudière-Appalaches, a mis sur pied le programme Une naissance, un livre. Répandu aujourd'hui dans tout le Québec, ce programme vise à bonifier le comportement des parents vers l'objectif ultime: donner aux tout-petits, bébés inclus, le goût et l'habitude des livres puis de la lecture, qui leur ouvriront la voie de la connaissance.

Les parents d'abord

Clara Bohrer, spécialiste américaine de l'alphabétisation précoce, a ensuite fait la description du programme Every Child Ready to Read (ECRR) qui fait l'éducation des parents d'abord. Le programme, élaboré pour les parents des pré-parlants (0 à 2 ans), parlants (2 à 3 ans) et pré-lecteurs (4 à 5 ans), s'articule autour de cinq moyens dont disposent papa et maman pour accompagner leur enfant dans la découverte des mots: parler, chanter, lire, écrire, jouer. ECRR, dûment validé puis adopté par l'ensemble des bibliothèques publiques américaines, n'a pas d'équivalent canadien ou québécois.

Abordant, hier en après-midi, la problématique de la lecture par rapport aux nouveaux arrivants, le romancier et essayiste torontois John Ralston Saul - il a publié en octobre Louis-Hippolyte Lafontaine & Robert Baldwin, chez Penguin Books - a d'abord dénoncé l'approche utilitariste en éducation. «Notre société de gestionnaires forme les jeunes pour le marché de l'emploi. C'est une trahison de l'héritage démocratique du Canada qui a toujours accueilli des citoyens venus ici pour participer de l'imaginaire.» L'utilitarisme crée des esprits passifs, a répété JRS, de la même manière que, dans les collèges et universités, l'approche «linéaire» des tenants des canons européens pose comme universelles les valeurs, politiques et littéraires, des anciens empires coloniaux. «Si Shakespeare et Molière occupent toute la place, les littératures nationales sont ravalées au rang de coloniales...»

Pour John Ralston Saul, la lecture est une libération de l'imagination, «une déclaration d'indépendance» à laquelle accède l'esprit «à travers le miroir que constituent les livres». «Pour l'état de gestion, le lecteur représente un ennemi.»

Le 2e Sommet de la lecture TD se poursuit aujourd'hui avec des panels sur la lecture et les communautés autochtones, la lecture et les garçons et l'influence des nouvelles technologies.