Cinq mois après la fameuse annonce, aussi étonnante qu'imprévisible, Hollywood tente encore d'en mesurer l'impact. Alors que la saison des récompenses s'apprête à monopoliser l'actualité cinématographique au cours des prochaines semaines (jusqu'au printemps, à vrai dire!), personne ne sait encore comment diable se dessinera la prochaine course aux Oscars. Laquelle, on le sait, est élargie désormais à 10 concurrents dans la catégorie du meilleur film.

Quand, en juin dernier, le président de l'Academy of Motion Pictures Arts and Sciences, Sid Ganis, a lâché sa bombe, bien des observateurs y ont vu une réplique - un dommage collatéral, diraient certains - à l'absence de The Dark Knight parmi les finalistes de l'an dernier. La grande soirée hollywoodienne étant inexorablement minée par les faibles cotes d'écoute des récentes années, il n'en fallait pas plus pour conclure à un virage stratégique visant à inviter au bal les productions les plus populaires.

Or, rien n'est moins sûr.

Les journaux spécialisés, Variety notamment, se fendent présentement d'analyses en tous genres en sondant le terrain auprès de divers intervenants du milieu. Dont plusieurs, curieusement, s'expriment de façon anonyme comme s'il s'agissait de secrets d'État oubliés sur le coin d'une commode de la chambre à coucher. Un constat s'impose: la confusion est totale. À l'heure où la campagne électorale s'amorce (car c'est de cela qu'il s'agit), personne ne sait vraiment à quoi s'attendre, ni comment gérer cette nouvelle réalité.

Sans surprise, le point de vue dépend souvent du poste que l'on occupe, et des intérêts à défendre. La plupart de ceux étant directement engagés dans la diffusion voient évidemment d'un très bon oeil cette ouverture, les chances de voir un poulain aboutir dans la catégorie ultime étant maintenant doublées.

«Les Oscars étaient devenus un peu prétentieux dernièrement, a déclaré Roland Emmerich, grand spécialiste des films-catastrophes. Et déconnectés des goûts du public. Ce serait bien de voir un film comme District 9 dans la course», affirme celui qui, secrètement, doit bien rêver d'une statuette dorée pour 2012.

Ceux qui font des «wet dreams» à l'idée de voir les Transformers 2 et autres Hangover concourir pour l'emblème ultime de l'excellence cinématographique américaine risquent pourtant l'amère déception. Plusieurs observateurs croient en effet maintenant que les vrais bénéficiaires de la nouvelle approche de l'Académie seront les films indépendants, les documentaires, les films étrangers, et les longs métrages d'animation.

Tom Bernard, coprésident de Sony Pictures Classics, fait d'ailleurs valoir que Rachel Getting Married aurait certainement été retenu l'an dernier pour l'Oscar du meilleur film dans une course à 10.

Aussi, la rumeur (ou le buzz, le hype, appelez cela comme vous voulez) s'éteint beaucoup plus rapidement quand il s'agit de grands succès commerciaux. Star Trek a beau avoir été généralement accueilli dans l'enthousiasme, personne n'imagine aujourd'hui l'Académie plébisciter la superproduction de J.J. Abrams lors de la prochaine cérémonie.

Non contente de remettre carrément sa crédibilité en jeu, l'Académie fait aussi face à un écueil majeur. Le cru 2009 est très moyen jusqu'à maintenant. Même avec «l'ancien» système, on aurait du mal à trouver cinq candidatures solides pour meubler la plus prestigieuse catégorie. Pas question non plus d'imiter les Golden Globes et de séparer les films sélectionnés selon les genres (drames et comédies).

Autrement dit, cette volonté de céder aux sirènes de la popularité risque de faire plus de tort que de bien à une organisation en panique, qui ne semble pas avoir bien mesuré la portée de son geste. Remarquez que le virus populiste se répand comme une pandémie dans tous les galas du monde, au Québec comme ailleurs. L'académie des Césars du cinéma français vient en outre d'annoncer l'attribution, dès l'an prochain, d'un «César du box-office». Plus tôt cette année, Dany Boon s'était plaint de la faible représentation de ses Ch'tis à la cérémonie. Comment dit-on déjà? Le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière?

Plus tout à fait ça...

Quand le film Michael Jackson: This is It a pris l'affiche, le studio Sony Pictures a pratiquement voulu nous faire croire qu'il faisait oeuvre de bienfaisance. Le film ne tiendrait l'affiche que deux semaines, pas un jour de plus, et serait offert en guise de cadeau aux plus fidèles admirateurs du défunt roi de la pop. On leur devait bien ça. Aujourd'hui, le masque chirurgical est tombé.

En annonçant hier la prolongation de la carrière en salle du film jusqu'au 3 décembre, les bonzes de Sony ont bassement fait la preuve de leur mercantilisme. Et octroient du même souffle à toute cette opération de marketing un aspect franchement indécent.

Non admissible dans la catégorie du meilleur documentaire (les délais d'inscription sont dépassés), This is It fera néanmoins l'objet d'une campagne afin d'être retenu aux Oscars dans les catégories «normales». On espère même en haut lieu une sélection pour l'Oscar du meilleur film. Sans blague!

C'est ridicule. Même si j'ai été agréablement surpris, le document musical de Kenny Ortega n'a strictement rien d'un accomplissement sur le plan cinématographique. En fait, ce film n'a rien à voir avec le cinéma. J'ose espérer que les membres de l'Académie ne seront pas dupes.

Décidément, la crémière est bien convoitée.