Qualifier Phil Ramone de monument est un euphémisme... monumental! Ont travaillé aux côtés de ce grand réalisateur et musicien: Frank Sinatra, Ray Charles, Quincy Jones, Marilyn Monroe, Barbra Streisand, Burt Bacharach, Elton John, Paul Simon, Billy Joel et une armée d'artistes en voie de devenir superstars comme la chanteuse country Shelby Lynn ou encore l'adolescente montréalaise Nikki Yanofsky.

Invité par l'École de musique Schulich de l'Université McGill, le fameux producteur new-yorkais Phil Ramone vient de passer deux journées entières dans notre île, qu'il dit visiter régulièrement. Lundi en fin de journée, il donnait une conférence passionnante sur sa trajectoire de réalisateur d'albums, certes l'une des plus importantes depuis les années 50. Hier, il rencontrait les étudiants inscrits au programme d'enregistrement sonore.

Des professionnels de l'industrie de la musique paieraient des milliers de dollars pour une telle consultation! Phil Ramone pourrait certes se passer de ce genre d'exercice, mais il a foi en son métier: la musique enregistrée. «Je le fais volontiers à partir de mon expérience, de ma trajectoire. Je crois toujours à la transmission de mon savoir aux étudiants, aux professionnels inexpérimentés, aux débutants.»

En toute courtoisie, le sexagénaire nous parle de la jeune Nikki Yanofski, avec qui il travaille depuis, un an et dont l'album sera vraisemblablement finalisé au printemps 2010. «Ce qui est super pour moi, c'est d'encadrer cette jeune fille qui grandit et deviendra autre chose qu'une ''nouveauté'' - un produit aussi rentable qu'éphémère.»

Phil Ramone sait d'expérience que l'industrie de la musique est friande d'enfants prodiges... qu'on a tôt fait d'oublier une fois adultes. «C'est la partie la plus triste de l'histoire, mais... j'ai parlé à Nikki et ses parents, afin que nous nous posions tous la question fondamentale: comment faire la transition entre la jeune fille et l'adulte? Si on traitait Nikki Yanofsky comme une enfant prodige du jazz, le public risquerait de la larguer après l'avoir appréciée un moment.»

«Assurément, la petite veut devenir une interprète, poursuit Ramone. Une chanteuse? Absolument. Pas juste une chanteuse de jazz. Il y a eu cette période d'imitation... Maintenant? Je dis à Nikki qu'elle doit devenir elle-même. Je lui rappelle qu'Ella Fitzgerald, Peggie Lee ou Sarah Vaughan interprétaient des chansons pop à leur manière. Elles ont trouvé leur marché et ont été admirées pour ce travail durant plus d'un demi-siècle, car elles étaient de grandes interprètes. Et oui, Nikki a la force pour faire son chemin en ce sens... même si elle peut passer à autre chose demain matin.»

Mille projets

Artiste insatiable, Phil Ramone a plusieurs casseroles sur le feu. Hormis ses projets de film documentaire ou d'albums pop comme celui Nikki Yanofsky, le réalisateur prépare un album avec le concert de plusieurs invités de marque. Entreprise de vulgarisation consacrée à l'oeuvre d'un grand compositeur américain, Gershwin Across America réunit entres autres Jason Mraz, Trisha Yearwood, Jewell, Paul Simon, etc. Pour les amateurs plus pointus, son projet le plus palpitant est ce film documentaire sur l'histoire entière de la musique enregistrée, coproduit avec Quincy Jones et dont la sortie est prévue l'an prochain.

«De 1945 au téléchargement» - le titre de sa conférence à Montréal -, Phil Ramone a vécu les grandes étapes de l'enregistrement sonore. Jeune violoniste inscrit à la prestigieuse Juilliard School of Music, Phil Ramone a manifesté un intérêt précoce pour les technologies. Avant même d'avoir atteint la vingtaine, ce musicien doué allait devenir un des grands gourous de l'enregistrement.

Adolescent, il se questionnait déjà sur les ingénieux procédés de surimpression imaginés par le guitariste Les Paul. Il a eu tôt fait de rencontrer les meilleurs professionnels de la prise de son à l'époque, participer à la conception des premières chambres d'écho. Dans la jeune vingtaine, Phil Ramone réalisait des albums dans tous les secteurs de la musique américaine: jazz, R&B, rock'n'roll, etc. Sa réputation était telle que le président des États-Unis de l'époque, John F. Kennedy, l'avait recruté pour assurer une sonorisation optimale lors des concerts présentés à la Maison-Blanche.

Phil Ramone a aussi vécu l'invasion de la musique brésilienne à New York, en 1964. Il a notamment travaillé auprès des Jobim, Gilberto et jazzifié la bossa nova avec Stan Getz. Il a créé les duos virtuels de Frank Sinatra et les duos réels de Tony Bennett. Il a vécu les premiers balbutiements de l'enregistrement numérique, il a été aux premières loges de la naissance de la musique en ligne. Il s'oppose d'ailleurs à toute répression contre les internautes. «Ça ne me semble pas très joli de poursuivre ta clientèle. Il faut plutôt revenir à une offre de musique abordable.»

«Ma carrière, conclut-il, se résume à ces interrogations récurrentes: comment faire mieux dans un studio? Comment trouver la pièce idéale pour l'enregistrement idéal? Comment faire ressortir la qualité maximale de la musique en la reproduisant? Je ne suis pas ici pour critiquer la musique en ligne, mais je crois que nos enfants ont aussi droit au meilleur son.»