Le gala de l'ADISQ, comme n'importe quel autre gala ou party de bureau, n'est pas parfait. Aucune manifestation de ce genre ne peut être parfaite, pas plus qu'elle ne peut faire l'unanimité.

Tiraillé entre la célébration d'une industrie, la valorisation d'un milieu et l'obligation de plaire au public, ce gala est une créature hautement imparfaite qui ne récompense pas toujours les meilleurs, qui préfère le statu quo à l'audace, et le consensus mou au choix radical. C'est une créature lente à réagir, rigide, procédurière, qui regarde passer certains trains sans voir qu'elle est en train de rater le bateau (pensez aux Trois Accords).

Mais qu'on l'aime ou non, cette créature imparfaite a malgré tout réussi à traverser trois décennies et à survivre à deux référendums, plusieurs révolutions technologiques, des crises économiques et une commission Bouchard-Taylor, tout cela en célébrant la musique de chez nous.

Pourtant, voilà qu'à l'aube de ses 31 ans, son avenir est subitement menacé par des gens qui n'ont plus envie de jouer. L'empire Quebecor, par l'entremise de sa division musicale Musicor, a en effet décidé de se retirer de l'association des producteurs qui financent le gala.

La première salve a été tirée lorsque Pierre Marchand et Serge Sasseville, les lieutenants de Musicor, ont démissionné du C.A. de l'ADISQ pour divergences d'opinions. Au lieu de s'inquiéter, la directrice générale Solange Drouin a haussé les épaules. Cette semaine, elle a confié à mon collègue Alain Brunet que le départ de Musicor n'était pas si catastrophique que cela puisque ça ne représentait qu'une perte annuelle de 2000$.

Autant dire que c'est la réaction la plus stupide qu'on puisse avoir en pareille circonstance. Car le problème, ce n'est pas tant l'argent que le volume d'artistes que Musicor risque d'entraîner dans sa fuite. Cela va de Marie Mai jusqu'à Florence K en passant par Zachary Richard, Renée Martel, Gilles Valiquette, Stéphanie Lapointe et j'en passe.

En tout, près d'une trentaine d'auteurs-compositeurs et d'interprètes pourraient disparaître du radar de l'ADISQ et ainsi complètement fausser la compétition l'année prochaine. Leur étiquette de disque n'étant plus membre de l'ADISQ, ces artistes n'auront en effet plus le droit d'être candidats aux mises en nomination. Ce règlement un brin absurde explique pourquoi l'année de leur naissance triomphale, les Trois Accords n'étaient en nomination dans aucune catégorie. Indica, leur étiquette de disque, avait oublié de demander (et de payer) sa carte de membre. La situation a été corrigée depuis. N'empêche. L'année où on ne pouvait allumer une radio sans entendre les Trois Accords, les dirigeants de l'ADISQ auraient dû faire des pieds et des mains pour qu'Indica les rejoigne. Ils ont préféré attendre qu'Indica le fasse un an plus tard.

Et aujourd'hui, au lieu d'essayer de trouver un terrain d'entente avec Musicor qui menace en plus d'organiser son propre gala, les dirigeants de l'ADISQ laissent les choses aller. Mauvais calcul.

Cela ne veut pas dire que les revendications de Musicor sont légitimes. En se retirant du gala parce leurs poulains ne gagnent pas assez de Félix, les dirigeants de Musicor font preuve d'un corporatisme infantile doublé d'un populisme de bon aloi brandi pour mieux nous faire avaler des intentions qui sont marchandes avant d'être musicales. En d'autres mots, chez Musicor, on ne produit pas que des CD. On produit aussi de la mauvaise foi.

Reprocher au gala de ne pas être à l'écoute du public quand les quatre Félix les plus importants de la soirée - chanson, interprètes masculin et féminin et groupe de l'année - sont choisis par le public est le plus bel exemple de cette mauvaise foi érigée en système. Heureusement, tout n'est pas joué. Il reste aux belligérants à faire chacun leur bout de chemin pour sauver les meubles. Il leur reste surtout à comprendre qu'aussi imparfait qu'il soit, ce gala fait partie de notre histoire depuis trente ans. C'est un gala... en or qui mérite d'être sauvé.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca