Les petits chanteurs du Mont-Royal ne s'en vantent pas, mais Luc Provost, alias Mado Lamotte, a déjà fait partie du fameux choeur de garçons, «deux ans avant Gregory Charles!» C'est pour cela que Mado, la drag queen la plus connue du Québec, chante juste sur son disque Full Mado - Le Remix Album, lancé en grande pompe début juin.

Il y a quelques jours, les parents de Luc Provost, âgés de 79 et 84 ans, sont allés au Cabaret Mado voir leur fils transformé en étincelante drag queen baveuse et drôle: «Chaque fois, mon père pleure, dit Provost. Il est ému quand il entend les bravos qui m'accueillent, il est fier de moi.»

Il y a de quoi. D'un personnage voué à une vie en marge, Provost a fait de Mado Lamotte une des figures de proue de Montréal et du Québec, comme en témoigne son impressionnant dossier de presse (je l'ai mesuré: il fait plus de trois pouces d'épais!). Absolument tous les médias, des plus sordides aux plus sérieux, ont parlé de Mado Lamotte, la reine du kitsch, la matante excentrique, la bitch calleuse de bingo olé-olé.

En fait, en 23 ans, Mado a tout fait ou presque, à commencer par rouler ses «r». D'abord et toujours animatrice de soirées courues dans le village gai (dans divers bars de la rue Sainte-Catherine, puis au chic Cabaret Mado depuis huit ans), miss Lamotte a écrit (et écrit toujours) des chroniques dans des hebdos et des magazines, a participé à une téléréalité, joué dans une pièce de théâtre (en anglais, en plus, dans Saving Celine en 2007), animé des bingos géants en salle et en plein air et des méga-partys à ciel ouvert.

Elle a aussi décrit des courses de drag queens et des défilés de la fierté gaie, pris la parole lors des Combats contre la langue de bois du Festival Voix d'Amérique (où elle avait alors confié vouloir être la deuxième drag queen à accéder à la mairie, après feu la mairesse Boucher...), été la porte-parole des chips Yum-Yum dans une publicité, fait l'objet d'un documentaire (La reine Mado par Annie Blouin) ...

Sans le fichu volcan islandais Eyjafjöll qui a forcé l'annulation de son vol, Mado Lamotte se serait même envolée en avril pour la France afin d'y présenter son spectacle, rebaptisé pour l'occasion... Les invasions bâtardes! Ce n'est que partie remise, elle y sera en septembre prochain.

Qu'importe. Entre-temps, celle qui a repris par le passé le répertoire de Dalida, Abba, Piaf, etc., lance son premier CD le 9 juin prochain. En fait, en 1996, Mado Lamotte avait déjà lancé un single, avec sa reprise dance du thème de Mini-Fée. Mais là, 14 ans plus tard, on a affaire à tout un CD. Un CD Full Mado, constitué essentiellement de reprises de succès des années 70 et 80, offertes en «full spray net mix», «full matante mix», «full 450 mix», «full fiesta mix» ... Un album fait pour danser, conçu pour les discothèques et les partys. Un disque de BBQ, quoi - pas de chanson de rupture sur cet album, les amis!

Ça va de Corps à corps (avec des «steel drums» !!!) à Téléphone mon bijou, en passant par Le Rap de Mini-Fée (en version house électro, à la Gwen Stefani) et Call-Girl, dans une réalisation très eurodance, entrecoupé d'interludes rigolots où Mado prend sa douche ou séduit un «mononcle» contre son gré (c'est Luc qui fait la voix du mononcle...). Le tout se termine par une incroyable version de Touch Me de Samantha Fox, mais... au piano. Hallucinant. Et bourré de mini-gags qu'on ne perçoit pas à la première écoute, mais bien à la troisième, cinquième, dixième: «Je me suis inspiré du Génie des alpages (NDLR: série BD géniale du dessinateur français F'murr), où il y a toujours des petits gags qu'on ne remarque pas du premier coup, dans toutes les cases», explique Luc Provost. Attention, vous allez même entendre la pub des soutiens-gorge Wonderbra-a-a...

L'art du bonheur

«Le kitsch, c'est l'art du bonheur», disait le psychologue Abraham Moles. Le disque de Mado - en fait, l'oeuvre tout entière de Mado -, c'est l'art du kitsch bien compris et pleinement assumé. Vous ne ferez pas dire à Luc Provost qu'en fait, il est mal dans sa peau et qu'il se déguise en Mado pour faire oublier son vague à l'âme.

Niet, nenni, non. C'est pour rendre les gens heureux que Mado - et Luc - existent. «Je voulais faire un album qui ferait sourire le monde. C'est pour cela que l'album comprend principalement des reprises, pour que les gens puissent chanter en même temps que moi. Moi, je suis pour le «sado-Mado»: se donner du plaisir quétaine... et peut-être faire souffrir ceux qui t'entourent quand ils t'entendent chanter à pleine voix! C'est un peu comme se faire fouetter, mais avec un flamant rose, tu comprends?»

Pas exactement, mais je comprends que le plaisir est au coeur de l'affaire: «D'ailleurs, j'ai déjà mon disque d'or: regarde, le CD est imprimé couleur «gold». Et puis, j'ai inséré des petites cartes postales rondes dans la pochette, les gens peuvent s'en servir aussi comme sous-verre, comme décoration, éventail, frisbee...

«Et puis, Mado est tellement internationale, reprend celui qui possède quelque 500 costumes de scène. Elle a quatre chansons en français québécois et une toune d'un Belge (la reprise de Plastic Bertrand), elle fait un clin d'oeil aux Français (Dur dur d'être une drag queen) et aux Japonais (la chanson du dessin animé nippon Mini-Fée), une chanson en anglais (Touch Me), un air des Caraïbes très Club Med (l'incroyable version de Corps à corps) et même une petite phrase en italien quelque part... Internationale, je te dis!»

Et pour les amateurs de vrai de vrai kitsch, sachez que Mado et son réalisateur-multi-instrumentiste ErekMcQueen ont intégré dans sa chanson «originale» Danse autour de ta sacoche, un vrai de vrai continental! Dur, dur, de résister. Allez, un, deux, trois, quatre...

Celui qui fut le copain de classe de Bryan Perro et de Paul Doucet a étudié le théâtre à l'UQAM. Et s'est rapidement taillé une place de choix dans un univers qui n'est pas facile, le monde des drag queens. Jamais Luc Provost n'a voulu avoir l'air d'une femme sexy. Il est la «matante quétaine» dans toute sa beauté, celle qui «a toujours rêvé d'être caissière chez Metro», qui a 29 ans depuis 20 ans, qui raffole de sa chatte lesbienne Shirley (c'est d'ailleurs Shirley qui a le dernier «miaou» sur le disque) et qui se vante d'avoir sorti son pianiste Nick Burgess de la misère «en lui faisant prendre des cours d'«organet» sur la Plaza Saint-Hubert!»

Depuis, Mado est devenue une référence qu'on consulte pour parler de Céline Dion ou choisir les grandes personnalités féminines de notre temps. Dernièrement, dans notre rubrique Entracte/Séparés à la naissance, elle a figuré aux côtés de la Reine rouge incarnée dans le film Alice in Wonderland par la comédienne Helena Bonham Carter («Une maudite copieuse, comme Lady Gaga!»).

Mais elle demeure avant tout un personnage. On demande souvent à Luc Provost de quoi a l'air Mado Lamotte sans son gros make up outrancier. Il a décidé de répondre une fois pour toutes à la question: sur une photo dissimulée sous le CD, on voit enfin Mado démaquillée. C'est une tête de Styrofoam blanche avec une grosse perruque bleue...

Full Mado - Le Remix Album, sur étiquette Star/Sélect, lancé au Cabaret Mado le 9 juin.