De retour d'un séjour à Paris où avec ses 40 voix, elle a rempli la salle de la Gaîté Montparnasse pendant 46 soirs, Véronic DiCaire a déjà repris la route au Québec. Seule femme en nomination contre les humoristes les plus populaires de chez nous, Véronic sera en spectacle le soir du gala Les Olivier. Pas parce qu'elle boude, mais parce qu'elle est une des femmes les plus travaillantes du showbizz québécois et qu'à ce moment-ci de sa vie, plus rien ne l'arrête.

C'était au plus creux de février, quand l'humidité parisienne est à son comble et que les virus s'attrapent rien qu'en respirant. Véronic DiCaire se remettait à peine d'une gastro. Elle n'avait pas dormi de la nuit et ce matin-là, elle se demandait avec angoisse comment elle allait faire pour remonter sur scène. Comment allait-elle réussir à retrouver l'énergie et la souplesse qui chaque soir lui permettent d'étirer l'élastique de sa voix et d'imiter aussi bien le filet vocal de Vanessa Paradis que le volcan d'émotions d'Édith Piaf?

 

Ce matin poisseux de février, Véronic Dicaire aurait pu tout simplement annuler la représentation, mais l'équipe du téléjournal de TF1 avait précisément choisi ce moment-là pour venir l'interviewer et capter des images de son spectacle. Véronic ne voulait pas les décevoir, ni manquer ce précieux coup de pouce publicitaire. Pas le choix, il lui fallait rassembler toutes ses forces et aller au front, coûte que coûte.

On peut retrouver la vidéo du reportage de TF1 sur le web. Véronic DiCaire y apparaît non pas faible, pâle et malade, mais souriante, énergique et en forme. Pas de doute possible, cette fille est une vraie pro. Mais c'est aussi une guerrière ou, comme elle le dit elle-même, une amuseuse de temps de guerre.

«Je me sens comme ces chanteuses des années 30 qui montaient sur scène avec leur joie et leur bonne humeur pour faire oublier aux gens la guerre et la récession. J'aurais été très heureuse de vivre à cette époque-là», raconte Véronic au milieu d'un petit café d'Outremont.

De chanteuse à imitatrice

Quelques minutes plus tôt, elle est arrivée vêtue de noir des pieds à la tête, parapluie compris. Le ciel gris lui rappelle tout à coup un événement marquant qu'elle tient à partager: le jour où elle a enterré Véronic la chanteuse, pour mieux faire naître Véronic l'imitatrice.

«C'était une journée pluvieuse et triste comme aujourd'hui, poursuit-elle. Monsieur Angélil m'avait demandé quelques jours plus tôt si j'avais envie de faire la première partie du spectacle de Céline au Centre Bell. Il fallait que je prenne une décision. J'ai allumé une chandelle et j'ai regardé une dernière fois le livre de textes et de collages que j'avais fait en prévision de mon troisième album. Au bout de plusieurs longues minutes, j'ai refermé le livre et j'ai pleuré un bon coup. Et puis, je me suis dit: laisse-toi aller, ça va être correct. Tout va bien se passer.»

Véronic DiCaire avoue qu'à ce moment-là, elle savait que sa vie allait changer radicalement, mais elle ignorait encore de quelle manière.

«Le soir après la générale du spectacle du Centre Bell, on est tous allés souper ensemble. Et à un moment, un des adjoints de René Angélil a levé son verre dans ma direction et a porté un toast à ma nouvelle vie. Ça m'a fait un choc. Je venais de prendre conscience de l'ampleur de la tâche qui m'attendait. Le premier spectacle que j'ai donné a bien été et m'a rassurée, mais au deuxième, j'ai craqué. J'ai senti la chaleur du public, le fait qu'il m'acceptait sans conditions et ça m'a bouleversée. En arrivant dans ma loge, je me suis écroulée et j'ai pleuré, pleuré. J'étais submergée par un tsunami d'émotions.»

Depuis, beaucoup d'encre et de larmes ont coulé sous les ponts. Véronic la chanteuse a complètement disparu et Véronic l'imitatrice est partie en tournée dans tout le Québec avec son premier spectacle solo. Si la chanteuse, n'a pas toujours réussi à remplir ses salles, l'imitatrice elle, a immédiatement fait salle comble partout. En l'espace d'un an, entre janvier 2009 et janvier 2010, Véronic DiCaire a attiré 165 000 spectateurs uniquement au Québec.

Tout un exploit pour cette Franco-Ontarienne, native d'Embrun, petite municipalité située à une trentaine de minutes d'Ottawa. Fille d'un conducteur de bétonnière dont les ancêtres étaient sans doute des Dicker et d'une mère née Murphy, Véronic a grandi à Embrun avec son frère Étienne. À l'école, à la maison, avec les petits amis, tout se passait en français.

Ce n'est qu'en arrivant à Montréal en 1998, à l'âge de 18 ans, et en enregistrant un premier disque avec le musicien Jeff Smallwood, que la belle a décidé qu'il fallait qu'elle apprenne l'anglais. Pour le reste, Véronic est une pure francophone sans accent, qui regardait Gilles Latulippe et Yvon Deschamps à la télé et qui dans la cour d'école, s'amusait à imiter Rose Ouellette. Idem pour son agent et conjoint, Rémon Boulerice, natif de Casselman, village voisin où le français est parlé par 83% de la population.

«Les Québécois pensent que parce qu'on vient de l'Ontario on est différents, mais on a le même sentiment d'appartenance à la culture francophone et le même désir de ne pas être oubliés et de voir le français et sa culture rayonner.»

Prête pour Las Vegas

Ironiquement, celle qui refuse de renoncer à sa langue et à sa culture est en train de préparer un spectacle entièrement en anglais pour le public de Las Vegas. Elle vient d'avoir la bénédiction de René Angélil, qui s'est dit prêt à investir dans le développement d'un concept. L'équipe qui l'entoure est constituée de Josée Fortier, de Louis-Philippe Rivard et de celui qui a fait basculer sa carrière il y a deux ans: Marc Dupré, le gendre de René Angélil, qui avait insisté auprès de son célèbre beau-père pour qu'il vienne entendre la chanteuse dont il devait produire le disque.

Ébloui par les talents d'imitatrice de belle blonde et sans doute aussi par sa simplicité et sa nature travaillante, Angélil a pris DiCaire sous son aile aux Productions Feeling, mais via la division Tourmotion. C'est Angélil qui lui a ouvert les portes de la France. Et de la même manière, il pourrait lui ouvrir celles de Las Vegas.

Pourtant, à ce sujet, Véronic apporte une nuance: «Disons que dans les deux cas, René me donne les clés et c'est à moi d'ouvrir les portes. En France, le succès n'était pas garanti. La première semaine, ça allait, le coproducteur Gilbert Coullier nous a donné de belles salles bien pleines, mais après cela, j'étais pour ainsi dire seule sur scène et responsable de mon propre succès. En fin de compte, c'est le bouche-à-oreille qui a fait la différence et qui a rempli mes salles jusqu'à la fin.»

À Paris, Véronic a séduit le public par son énergie et ses prouesses vocales et techniques. Mais surtout, comme le soulignait le critique de Télé 7 Jours, parce qu'elle une des rares femmes à être douées d'un aussi grand talent d'imitatrice. En France, les imitatrices ne sont pas légion. Aux États-Unis, on retrouve une foule de «personnificateurs» masculins qui imitent des femmes, mais des femmes imitatrices? On les cherche.

Dans un tel contexte, on comprend l'intérêt que DiCaire pourrait susciter à Las Vegas. D'autant plus que Danny Gans, l'imitateur le plus connu en ville, est mort la semaine dernière, laissant un grand vide sur le front de l'imitation. Il y a 10 ans, André-Philippe Gagnon avait tenté sa chance à l'hôtel casino The Venetian, mais l'expérience ne fut pas concluante. Les choses ont beaucoup changé depuis. Et avec la disparition de Danny Gans, le public de Vegas est peut-être prêt à s'ouvrir à un spectacle d'imitation radicalement différent. Chose certaine, Véronic DiCaire brûle de tenter l'expérience.

«Oui, je veux essayer ça, affirme-t-elle. Si ça marche, je suis prête à m'installer à Vegas longtemps, sans pour autant mettre de côté la France et le Québec, évidemment. Mais bon, j'ai 33 ans. Je suis en forme. J'ai de l'énergie. C'est le temps ou jamais. Rémon et moi, on ne veut pas d'enfants tout de suite, mais si ça arrivait, ça ne m'inquiète pas. On sait que c'est possible d'avoir aussi une vie de famille à Vegas.

Et la chanteuse dans tout cela? Elle est toujours là, tapie dans un coin, pas jalouse de l'imitatrice pour un sou. Au contraire. La chanteuse est reconnaissante et heureuse d'avoir accepté que Véronic DiCaire puisse avoir 40 voix au lieu d'une seule.