Lorsque les maestros ont le luxe de puiser dans un répertoire qui s'étale sur plus de quatre siècles, comment font-ils pour choisir les oeuvres qui seront interprétées en concert? Les programmes des grands orchestres sont-ils bâtis pour plaire aux mélomanes, aux néophytes ou aux musiciens? Toutes ces réponses, affirment Kent Nagano et Yannick Nézet-Séguin.

Lorsqu'il était à la barre de l'Orchestre Symphonique de Montréal (OSM), Charles Dutoit favorisait les pièces des grands compositeurs français. À son arrivée, il y a quatre ans, son successeur, Kent Nagano, a préféré explorer davantage le répertoire allemand.

Le maestro Yannick Nézet-Séguin a également changé l'orientation musicale de l'Orchestre Métropolitain à la suite de son embauche, il y a dix ans. L'ensemble a commencé à aborder des compositeurs comme Debussy, Malher et Bruckner. Compositeurs que le chef apprécie particulièrement.

La programmation des orchestres symphoniques est-elle le reflet des préférences des chefs? «Forcément! On ne peut pas faire abstraction de nos goûts!» répond Nézet-Séguin.

«Et c'est tant mieux, dit-il, car on a le devoir de diriger ce qu'on aime parce qu'un chef qui se présenterait sur un podium sans avoir une certaine dose d'amour de la pièce serait une forme de charlatanisme.»

Le choix des oeuvres ne peut se faire uniquement en fonction des lubies des maestros, précise-t-il toutefois.

«On essaie, à l'intérieur d'une saison, de représenter les différentes époques, les différents styles et les différentes géographies de la musique classique. C'est quand même un héritage qui s'accumule depuis trois ou quatre cents ans. Nous avons le devoir comme artiste de faire vivre cela au public.»

Pour Kent Nagano, les choix de répertoire sont avant tout dictés par la résonance qu'ils trouveront au sein du public. «La question est toujours de savoir pourquoi nous interprétons cette oeuvre. Si nous ne parvenons pas à trouver une bonne réponse, alors il est mieux de ne pas jouer cette pièce.»

Selon Yannick Nézet-Séguin, certaines pièces comme le Requiem de Verdi ou Carmina Burana de Orff sont des succès instantanés auprès du public. Les équipes artistiques sont-elles tentées de programmer les Quatre saisons de Vivaldi ou la Cinquième symphonie de Beethoven pour attirer les foules?

«On n'est pas seulement là pour vendre des billets, répond Nézet-Séguin. On veut diffuser notre message au plus large public possible, mais l'important, c'est également d'ouvrir les horizons. Donner encore plus d'outils pour apprécier tout cet héritage tellement vaste.»

Kent Nagano et Yannick Nézet-Séguin se font tous deux le devoir d'interpréter des pièces contemporaines et les oeuvres de musiciens canadiens.

«Ce n'est pas intéressant d'offrir des pièces de deuxième ou de troisième qualité écrites dans les années 1800, explique Nagano. À l'inverse, si l'on trouve une pièce de niveau exceptionnel composée il y a deux ans, le public sera capable de sentir cette qualité. Je dis sentir, parce que le public ne sera pas nécessairement instantanément confortable avec la pièce, mais il pourra certainement réagir à sa profonde qualité.»

Lorsque l'on interprète des morceaux contemporains ou plus pointus, le public doit se voir offrir «une porte d'entrée», précise Kent Nagano.

«On ne peut pas lancer au public quelque chose de complètement froid ou inconnu. Il faut créer un lien esthétique ou intellectuel entre les morceaux sélectionnés. Que ce soit en bâtissant un programme autour d'un thème ou autour de l'histoire locale.»

Pour le maestro, il est important de ne pas être prévisible. «Si ça sent la routine, ce n'est pas un bon environnement pour créer une belle expérience artistique.»