China Forbes s'est moins investie dans le quatrième album de Pink Martini, Splendor in the Grass, pour cause de congé de maternité. La chanteuse se retrouve donc dans une position inhabituelle: devoir apprivoiser un album du groupe dont elle est la cofondatrice.

L'été dernier, Thomas Lauderdale parlait avec enthousiasme du quatrième album de Pink Martini auquel il apportait la touche finale. «C'est comme un premier album tellement il est plein de vitalité, d'énergie et d'une espèce d'innocence tout à fait charmante», disait le pianiste, compositeur et chef d'orchestre qui a réalisé Splendor in the Grass avec un ami de longue date, Alex Morashian.

 

La chanteuse China Forbes, que j'ai jointe au téléphone la semaine dernière, trace aussi un parallèle avec le premier album de Pink Martini, mais pour une tout autre raison: «Comme j'étais en congé de maternité, je me suis moins impliquée et ce disque est très différent pour moi. Un peu comme l'était notre premier album que Thomas a fait quand nous vivions tous dans des villes différentes, et qui était vraiment son projet à lui.»

Pink Martini nous a joué deux chansons du nouvel album à la salle Wilfrid-Pelletier au dernier Festival de jazz, dont Splendor in the Grass qui, sur le coup, m'est apparue comme un condensé de la vraie nature du collectif de Portland, Oregon: une chanson qui pourrait être des Carpenters, avec un emprunt à Tchaïkovski, et qu'ils ont coiffée du titre d'un film américain de 1961. En fait, Splendor in the Grass leur a été inspirée par une composition de Lalo Schifrin pour un film de 1970 mettant en vedette Clint Eastwood, et il y a ailleurs sur cet album un clin d'oeil évident aux Carpenters: la chanson Sing, que Karen et Richard Carpenter ont empruntée à Sesame Street, et que China chante en duo avec Emilio Delgado, le Luis de la célèbre émission pour enfants.

Ce quatrième album de Pink Martini est donc celui de l'exubérant Thomas Lauderdale. C'est évidemment lui qui a eu l'idée de citer le célèbre Premier Concerto pour piano de Tchaïkovski dans la chanson Splendor in the Grass. Et ça marche.

«Tant mieux, je n'étais pas certaine que ça se tenait», dit en riant China Forbes, consciente du danger d'en faire un peu trop. Elle ajoute: «Thomas veut toujours plus de cordes et de harpe et les autres musiciens essaient parfois de réfréner un peu son enthousiasme. Depuis le tout début, il faut se rappeler de croire en la vision de Thomas même quand elle nous apparaît trop débridée. Ça rapporte parce qu'il a un style unique et beaucoup de goût.»

Les idoles de Thomas

Ce n'est pas, sur cet album, la seule excentricité de Lauderdale. Dans deux chansons qui se répondent - And Then You're Gone, chantée par Forbes, et But Now I'm Back, interprétée par un ami journaliste - il s'inspire de Schubert; dans Ninna Nanna, il emprunte à une symphonie du compositeur suédois Hugo Alfvén. Le sitar du film culte La Party, mettant en vedette Peter Sellers, apparaît sans avertissement dans la chanson Tuca tuca. Lauderdale reprend aussi la superbe New Amsterdam de Moondog, un personnage plus grand que nature de la scène musicale new-yorkaise, et il va même jusqu'à faire chanter à la non moins colorée chanteuse ranchera mexicaine Chavela Vargas, 90 ans bien sonnés, Piensa en mi qu'on associe au film Talons aiguilles d'Almodovar.

«La première fois que j'ai entendu le sitar, je n'ai pas pigé, mais tout le monde avait l'air d'aimer ça, concède China Forbes. Quant à Chavela Vargas, c'est un choix de Thomas Lauderdale. Il adore se servir du groupe pour tisser des liens avec ses idoles, de Jimmy Scott à Chavela Vargas. C'est du Pink Martini, toujours plus loin dans l'inattendu, que ça ait un sens ou pas! (rires)»

Il y a encore dans Splendor in the Grass un petit côté rétro; par moments, on jurerait reconnaître la signature d'un Burt Bacharach ou d'un Ramsey Lewis. «Notre premier disque avait une ambiance des années 40 et nous sommes maintenant rendus aux années 60 et 70, dit la chanteuse. Thomas et moi sommes des enfants des années 70, qui ont quelque chose d'irrésistible. Il y a aussi beaucoup d'humour dans cet album - notamment dans la chanson folichonne Où est ma tête? - ce qui est étonnant parce qu'au départ, nous avions l'intention de faire quelque chose de moins humoristique et de plus sexy.»

China Forbes le reconnaît, elle est encore en train d'apprivoiser Splendor in the Grass. «C'est comme si je revenais à la maison et que quelqu'un avait changé le mobilier de place, dit-elle en riant. Faut s'habituer. Il se passe beaucoup de choses dans cet album, mais je ne suis pas encore certaine que ça fasse un tout. Quoique je l'ai écouté récemment dans un dîner où ça jouait en arrière-plan et ça semblait fonctionner. C'est souvent comme ça que la musique de Pink Martini est écoutée...»

Pink Martini

SPLENDOR IN THE GRASS

HEINZ RECORDS/ AUDIOGRAM/

SÉLECT

En magasin mardi

 

EN UN MOT

Le quatrième album de ce collectif de Portland qui a le coeur à gauche et dont la musique élégante et sans frontières est chantée dans plusieurs langues.