Anna Wintour, rédactrice en chef du Vogue américain depuis 21 ans, fascine avec son intemporelle coupe au carré, ses tailleurs Chanel et ses verres fumés qui lui dévorent la moitié du visage. Dans Le diable s'habille en Prada, c'est elle, papesse du chiffon, autorité suprême des passerelles, que Meryl Streep campait avec une froideur terrifiante.

Dans l'imparfait documentaire The September Issue, qui sort chez nous le 23 octobre, RJ Cutler braque sa caméra sur cette frêle Londonienne devant qui tous les designers multiplient les courbettes gênantes. Si Anna aime, tout baigne. Si Anna déteste, fuyez comme la peste.

 

Et pourquoi le numéro de septembre plutôt que celui de janvier, par exemple? Parce qu'il s'agit de la plus volumineuse livraison de Vogue de l'année: ses 840 pages pèsent cinq livres et 13 millions de fashionistas s'arrachent cette bible de la mode.

Les premières minutes de ce film, tourné en 2007, illustrent parfaitement le produit annoncé: seule dans son royaume de papier glacé, la reine Anna coupe froidement toutes les têtes qui dépassent. Anna hait les deux mannequins choisies? C'est fini pour elles. Trop laid, trop court, trop lourd, Anna dicte et tranche sur un ton blasé qui oscille entre le dégoût et la répulsion.

Et attendez d'entendre les commentaires qu'Anna - et ses soeurs - émettent sur l'actrice britannique Sienna Miller, dont le visage illumine la page couverture de ce numéro de septembre. Ark, trop de dents, ouache, on voit ses plombages, il faut absolument retoucher son cou, ses cheveux sont horribles, tout y passe, comme s'il s'agissait d'un morceau de viande.

Bon, ça va, on a vite fait le tour, Mme Wintour. Heureusement, le point central du documentaire se déplace vers la directrice de création du magazine, Grace Coddington, 68 ans, une rousse Galloise qui contredit fréquemment sa redoutée patronne, alors que tous ses collègues, tétanisés, tremblotent devant elle.

Romantique, rigolote et pleine d'esprit, Grace ramène un peu de raison dans cet univers malsain en s'opposant aux retouches à l'ordinateur, en s'insurgeant contre la dictature des publicitaires et en critiquant la maigreur de certains mannequins. Du bout des lèvres, Anna reconnaît, à la toute fin du film, que le vrai génie de Vogue, c'est Grace Coddington.

Sinon, RJ Cutler, vraiment trop gentil avec son sujet, ne montre aucune image qui aurait pu déboulonner le mythe de la grande Anna. Jamais le cinéaste ne donne la parole à ses détracteurs. Jamais il ne questionne son postulat de base voulant qu'Anna Wintour règne en dictatrice sur toute l'industrie de la mode mondiale, une machine valant 300 milliards US.

À la limite, c'est quasiment humiliant de voir les Mario Testino, Jean-Paul Gaultier et Oscar de la Renta, des légendes du milieu, obéir à leur maîtresse de 59 ans comme des petits caniches de compétition. Un peu de colonne, messieurs.

Dans une scène fort dérangeante, Anna Wintour débarque chez Yves Saint Laurent à Paris et démolit le travail du créateur Stefano Pilati avant même que sa collection ne soit terminée. De quoi se mêle-t-elle? Et pourquoi personne n'ose la contrarier? Pas étonnant que son surnom soit «Nuclear Wintour» (l'hiver nucléaire). Après elle, il ne reste plus rien. Que de la désolation.

Avant la sortie de The September Issue, les rumeurs grondaient: Anna Wintour serait bientôt virée de Vogue, un congédiement déguisé en mise à la retraite. Rien de tout cela n'est arrivé. Anna sirote son café Starbucks tous les matins, toujours retranchée derrière ses verres fumés, toujours à la recherche de la prochaine assistante à humilier. C'est le début d'un nouvel hiver (de force) nucléaire.

Je lévite

Avec Glee, une nouvelle comédie de Fox. Une sorte de High School Musical qui se mélange à la sitcom Arrested Development et au film musical Grease. C'est drôle, irrévérencieux et hyper attachant. Et c'est disponible sur iTunes.

Je l'évite

Les nouvelles pubs de fromage. Plein de concepts d'ici, qu'à peu près personne d'ici n'arrive à décrypter. On s'ennuie quasiment de la rumeur qui court. Quasiment.

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