Raymond Lévesque et Dan Bigras ne sont pas exactement les seuls artistes québécois prêts à se mouiller jusqu'au coeur pour le projet de souveraineté du Québec. Les sondeurs de Radio-Canada ont sans doute raté Pierre Falardeau. Qui, sans trop s'étonner des conclusions de leur enquête dans le milieu artistique, les trouve «graves, tristes, et bien déprimantes».

Pendant la semaine de relâche scolaire, l'auteur d'Octobre est allé jouer dans la neige avec sa fille. Si Le Point avait pu le joindre et l'interroger sur son engagement politique, il aurait répondu : «L'indépendance, moi, j'chus pour! Toute ma vie, toute mon oeuvre, tournent juste autour de ça! Ça n'a pas été un bag pour moi, une mode!»

Le ton n'est pas celui d'un homme en colère, mais les mots, le jugement, tombent dru:

«Les artistes ont vieilli, ils sont vieux. Que Julie Masse ne veuille pas se prononcer, je ne trouve pas ça choquant. Par contre, je trouve qu'il y a plein d'opportunisme dans l'engagement politique de nos artisses. Plusieurs ont embarqué dans le bag nationaliste, ou maoiste, ou léniniste, en suivant le courant. Leur engagement, c'était pas très profond. Ils ont soulevé les foules avec des textes et des chansons indépendantistes, pis après, ils sont allés chercher leur médaille de l'Ordre du Canada, leur grosse job à Ottawa, ou leur numéro bien payé aux shows du 1er juillet!»

«Octobre»: un succès

Il n'est pas plus tendre à l'égard des cinéastes, trop peu nombreux à s'engager politiquement: «Ils aiment mieux s'analyser la génération X!»

N'empêche, Pierre Falardeau est content. À ses yeux, Octobre est un succès. Il a enregistré plus de 400 000$ au box-office, et décroché le grand Prix des Rendez-vous. Mais surtout, il a attiré beaucoup de jeunes. Or, c'est pour eux surtout que le cinéaste avait tourné ce film.

«Que le monde ne se soit pas garoché sur Octobre comme sur Louis 19 ou Le Masque ou Les Pierrafeu, c'est normal. En tournant un film comme ça, je me coulais moi-même au départ, parce que la moitié de la population ne voulait rien savoir des felquistes et de la crise d'Octobre. Ce qui me fait surtout plaisir, c'est que les jeunes sont venus nombreux, et se sont posé la question: Et pour nous, y reste-tu de l'espoir?»

Le succès «commercial» d'Octobre, sans parler des vidéocassettes, qui arrivent sur le marché, fait encore rire Pierre Falardeau:

«Même si on disait que les gens en ont ras-le-bol de la politique, ce film a fait mieux que presque tous les autres films québécois tournés en 1994. Il y en a pour dire que c'est pas le Pérou, mais l'Institut québécois du cinéma a constaté dans une étude que seulement 28 p. cent des films américains diffusés chez nous font plus de 300 000$. Quand on se compare, on se console.»

Et le retour d'«Elvis Gratton»?

J'avais joint Pierre Falardeau pour l'interroger sur l'éventualité du Retour d'Elvis Gratton, dont rêve Julien Poulin. Dans une récente interview, le comédien qui campait le truculent héros éminemment québécois exprimait clairement son désir de s'y remettre, pour se débarrasser une bonne fois pour toutes de ce personnage qui lui colle aux fesses depuis trop longtemps. À son dire, le scénario et le financement d'une «suite et fin d'Elvis Gratton» n'attendraient plus que le bon vouloir du cinéaste. Pas si simple!

«Il en a été question, c'est vrai. Poulin pousse fort sur le projet, moi, pas très fort. À l'automne, après la sortie d'Octobre, j'ai demandé quelques mois pour me reposer et réfléchir un peu. Et c'est ce que je fais. Il va falloir que je me remette au travail, si on veut manger. Mais j'hésite, je me cherche. Quand j'ai fait Elvis Gratton, on était juste sous le coup du référendum de 1980, et c'était un peu ma façon de faire chier le monde ! Mais là, je me demande si c'est le genre de film qu'il faut tourner, à cette période-ci de notre histoire...»

Et puis, Falardeau a un autre projet de film en tête. Sur la pendaison du patriote québécois Chevalier de Lorimier.