À six mois de l'entrée en vigueur du nouveau Fonds des médias du Canada, les inquiétudes des artisans de la télé ne semblent pas en voie de s'apaiser, constate-t-on à la lecture de quelques-uns des mémoires déposés début septembre par une cinquantaine d'organismes.

Parmi les questions épineuses ouvertes à la discussion: comment définir le succès auprès de l'auditoire? Doit-on traiter les fournisseurs de vidéo sur demande comme les télédiffuseurs? Comment définir le documentaire?

Le nouvel organisme né de la fusion du Fonds canadien de télévision et du Fonds des nouveaux médias est actuellement en période de consultation auprès de l'industrie pour définir ses principes directeurs. Et de nombreuses questions demeurent nébuleuses quant à la façon d'appliquer les nouvelles orientations du gouvernement Harper.

Celui-ci a annoncé au printemps sa volonté de favoriser les productions susceptibles d'obtenir «le succès populaire et offrir un bon rendement du capital investi»; éliminer le budget réservé à Radio-Canada de façon à ce que tous les radiodiffuseurs soient «sur un même pied d'égalité»; financer des productions diffusées sur au moins deux platesformes, dont la télé; et limiter l'aide aux documentaires et émissions de variété à ceux dont «le promoteur peut démontrer que le marché seul ne peut en soutenir la production». On souhaite ainsi éviter que le Fonds ne finance des projets de style téléréalités ou «mode de vie».

Dans ses documents de consultation, le Fonds lui-même s'interroge sur deux objectifs en apparence inconciliables: «Étant donné que les émissions de type mode de vie ou téléréalité atteignent des niveaux considérables de succès auprès de l'auditoire, comment le FMC devrait-il procéder pour faire cadrer cet objectif avec la directive d'empêcher le glissement des documentaires vers des genres de type téléréalité?»

Dans son mémoire, le regroupement Sauvons le documentaire, formé de réalisateurs, producteurs et autres artisans québécois, défend la définition actuelle du documentaire, et s'oppose vivement à son élargissement aux formes magazine, mode de vie ou téléréalité.

D'entrée de jeu, la Sartec et l'UDA, déplorent dans leur mémoire conjoint «que la pression des certains câblodistributeurs ait suffi à elle seule à entraîner une révision des politiques publiques». Selon eux, la mesure du succès devrait être pondérée en fonction de divers facteurs: la nature du diffuseur, son mandat, le public ciblé et le genre d'émission.

S'ils ne s'opposent pas à ce que les diffuseurs aient accès à des fonds pour leurs productions propres, ils estiment que «si le gouvernement avait réellement voulu équilibrer les règles du jeu entre les diffuseurs, il ne se serait pas contenté de cette seule disposition qui, dans le marché francophone, ne semble avantager que TVA».

Radio-Canada

Radio-Canada, pour sa part, s'oppose à ce que les services de VSD ou de téléphonie mobile deviennent une plateforme de télévision admissible parce que cela aurait pour effet de consentir à Quebecor «un avantage injuste par rapport aux conséquences néfastes sur la diversité des voix dans le marché canadien de langue française», écrit-on, sans nommer précisément l'entreprise concurrente, mais «un groupe d'entreprises entièrement intégré, qui contrôle un service de VSD lequel occupe une position prédominante». La société d'État estime que le Fonds ne devrait pas s'engager à ce sujet sans attendre les conclusions du CRTC sur le cadre réglementaire.

«CBC/Radio-Canada ne sera pas sur un même pied d'égalité que les autres télédiffuseurs tant qu'elle ne sera pas admissible à des crédits d'impôts comme le sont les télédiffuseurs privés au moyen de sociétés de production affiliées aux télédiffuseurs», plaide-t-on par ailleurs. Selon la société d'État, l'unique critère pour mesurer le succès devrait être l'auditoire de la première diffusion aux heures de grande écoute.

Quebecor

Du côté de Quebecor, qui avait suspendu en 2007 ses contributions au Fonds de télévision notamment sur la question de l'enveloppe réservée à Radio-Canada, on s'inquiète que le Fonds «se donne encore une fois des mandats qui ne lui sont pas expressément exigés par le gouvernement et les bailleurs de fonds privés».

«Nous ne voudrions pas que cette consultation soit le prétexte de confier, de nouveau, au Fonds, le mandat de protéger les privilèges des intervenants au lieu de se concentrer à miser sur le succès des productions qu'il finance.» Pour mesurer le succès d'une émission, le groupe propose notamment d'introduire un facteur de pondération pour mieux comparer le succès entre les diffuseurs généralistes et spécialisés.

D'ici à la fin novembre, le Fonds des médias tiendra des consultations dans différentes villes canadiennes. Il fera connaître ses lignes directrices le 1er mars. Celles-ci devront être approuvées par son conseil d'administration, dont cinq des sept membres ont été nommés par différents câblodistributeurs (Vidéotron, Bell, Cogeco, Roger et Shaw).