Le romancier français Philippe Djian (37,2 le matin, Lent dehors, Impardonnables...) et Stephan Eicher, le chanteur suisse le plus connu ici (à part peut-être Alain Morisod!), forment depuis 23 ans un indestructible tandem parolier-compositeur. Le FIL les a invités à chanter, réciter, rire, improviser et même gentiment s'engueuler devant nous.

Ni concert, ni lecture, plutôt face-à-face et même huis clos mélodique en public, les deux amis de longue date se partageront la scène de la Cinquième salle de la Place des Arts, l'un en noir, l'autre en blanc, et y présenteront quelques-unes des dizaines de chansons qu'ils ont faites ensemble. Ce sera la cinquième et la sixième fois, en trois ans, qu'ils proposent cette rencontre hors du commun. Eicher est à la guitare, mais Djian la gratte lui aussi un peu («il commence même à jouer du piano», confie Eicher en riant). Djian récite de son étonnante voix les paroles des chansons, mais Eicher les chante aussi - accompagné parfois par son copain. «Et puis, on fait toujours un petit jeu, reprend Stephan Eicher au bout du fil. Philippe lit la dernière page du roman qu'il est en train d'écrire, je la découvre en même temps que le public et je dois trouver la musique qui l'accompagne.»

 

«C'est très, très fort, ce qui nous lie tous les deux, dit de son côté Philippe Djian, ça dépasse la simple amitié, jamais je n'écrirais de texte pour d'autre que lui. Johnny Hallyday en chante une (Ne reviens pas)? Oui, parce que c'est Stephan qui a décidé de lui donner; je n'ai jamais écrit de chanson pour Hallyday. Mais bon, ça faisait plaisir à Stephan...»

Ce que Djian veut dire, c'est qu'il confie quelque chose de son âme à son copain: un style, une manière, certes, mais aussi un regard qui révèle autrement que dans un roman. «J'écris avec ma guitare, dont je joue très mal, explique Djian. Pour chaque texte, il y a toujours une petite musique, une mélodie que j'invente avec la dizaine d'accords que je connais - quelquefois, je donne ces musiques à Stephan: comme il est parfois fainéant, il m'a juré que la musique que j'avais faite pour Pas déplu était très bien et il l'a conservée sur son album Eldorado, dit-il en riant. Quand je joue de la guitare, je ne m'assois pas à la même place que lorsque j'écris un roman, reprend-il. Parce que c'est autre chose. Toutes ces années, écrire des chansons m'a poussé à toujours plus de rigueur, plus d'écoute du rythme et de la mélodie, ça m'a aussi permis de jouer avec la répétition. En français, ça a été très longtemps mal vu, de répéter les mêmes mots. Les chansons, qui appellent nécessairement la répétition (ne serait-ce qu'au refrain), m'ont libéré en quelque sorte de cette peur de la répétition, qui est pourtant si efficace en écriture.» Et que Djian utilise avec un talent exceptionnel, faut-il le rappeler...

«Quand on a créé le spectacle il y a trois ans, j'avais mis sur scène des petits jouets pour Philippe, explique Eicher, par exemple un mini-sampler, des instruments d'enfants... C'était amusant, mais finalement, quand on écoute des synthés qui imitent des moines tibétains, on quitte les mots. Or, je voulais rendre hommage aux mots de Philippe. Alors, au Festival de jazz de Montreux (en juin dernier), je n'avais qu'une guitare et un looper (appareil d'échantillonnage), et ça a très bien marché. Ça pourrait s'appeler «Deux hommes et une guitare», finalement.»

«Ce qui est bien, c'est que je ne prends pas vraiment de risque dans ce spectacle puisque je ne suis pas le chanteur, dit Djian, et que Eicher n'en prend pas vraiment non plus puisque ce n'est pas un concert. En fait, ce qu'on prend, c'est du plaisir», dit le romancier qui, en passant, aime passionnément Leonard Cohen, qu'il cite en tout ou en partie dans pas moins de quatre romans.

«Ce spectacle est très différent de ce que je fais habituellement, reprend pour sa part Eicher. D'abord, je suis assis! Je ne me jette pas à gauche et à droite puisqu'il faut laisser la place aux mots. En fait, la seule fois où je n'ai pas été assis, c'est quand on a joué alors qu'il y avait Jane Birkin dans la salle. Philippe m'a dit qu'il se roulerait par terre si je jouais de l'harmonica. J'ai joué de l'harmonica... et je me suis roulé par terre aussi, devant Birkin!»

Philippe Djian et Stephan Eicher, les 24 et 25 septembre à la Cinquième salle de la Place des Arts. Info: www.festival-fil.qc.ca