La Ligue nationale d'improvisation se cherche une salle permanente, histoire d'assurer son rayonnement et de faire reconnaître son importance dans la culture d'ici. Pourtant, au Québec, les inventeurs de la LNI ne touchent pas de redevances sur le concept du match d'impro, comme c'est le cas en Europe. Un manque de reconnaissance fâcheux pour Yvon Leduc, qui se remet d'un accident vasculaire cérébral.

«Au Québec et au Canada, il n'y a jamais eu de respect du concept de Gravel-Leduc. Les gens exploitent allègrement cette oeuvre (en totalité ou en partie) des deux hommes sans aucun souci de droit d'auteur. Imaginez un peu, depuis plus de 30 ans que ça existe», s'indigne le comédien Luc Senay, membre de la LNI pendant 23 ans.

En Europe, c'est la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) qui prélève les redevances pour les Éditions Gravel Leduc. La succession de Robert Gravel, cofondateur de la LNI (mort en 1996), et Yvon Leduc se partagent ces revenus.

En 2007, lors d'une tournée marquant les 30 ans de la LNI, Yvon Leduc a été victime à Paris d'un accident vasculaire cérébral qui l'a laissé hémiplégique. Après trois embolies pulmonaires, plusieurs séjours à l'hôpital et des mois de réadaptation, il circule toujours en fauteuil roulant.

Le travailleur autonome vit aujourd'hui de ses économies et des quelque 20 000 $ de redevances européennes qu'il reçoit chaque année. Aujourd'hui, il a épuisé les ressources du système de santé public. S'il veut continuer à recevoir des soins de physiothérapie, il devra les payer de sa poche. Et la LNI, qui fonctionne déjà en mode survie, n'a pas les moyens de lui verser une pension.

Au début des années 80, les représentants québécois de la SACD ont tenté de faire reconnaître ici le droit d'auteur des créateurs des matchs d'impro.

«On avait commencé à avoir des ententes avec des écoles. Mais on s'est heurté à des murs. On a décidé de ne pas continuer parce que ça occasionnait trop de coûts judiciaires par rapport à ce que ça représentait comme revenus», explique Yvon Leduc.

Même si les redevances avaient été symboliques, elles auraient «quand même une force intéressante», souligne-t-il. Non, il ne vit pas dans l'extrême pauvreté, insiste-t-il. Mais sa situation financière reste précaire.

En France, en Belgique, en Suisse et en Italie, les matchs d'improvisation professionnels rapportent un pourcentage aux éditions Gravel-Leduc pour l'utilisation du concept. Moitié sport, moitié art, ce ne sont pas des pièces de théâtre au sens strict. Avec un certain décorum et des règles, ces matchs s'apparentent davantage à une mise en scène. Et c'est ce qui complique les choses.

Au Québec, la Société québécoise des auteurs dramatiques administre une entente conclue avec le ministère de l'Éducation pour le paiement du droit d'auteur pour les oeuvres dramatiques lues publiquement ou jouées dans les établissements préscolaire, primaire et secondaire.

Les écoles étant sans le sou, c'est le Ministère qui verse un montant forfaitaire. Pourrait-il le faire pour les matchs d'impro?

À la SOQUAD, on explique que seuls les textes dramatiques écrits bénéficient de cette entente.

Une grande famille éclatée

Autre hic: au Québec, on parle essentiellement de ligues amateurs et scolaires, pas de ligues professionnelles comme on en trouve en Europe. «Les droits d'entrée servent à couvrir les frais d'activités et parfois à se payer des tournois, indique Michaël Robert, directeur artistique de la ligue La Buck, à Granby. Les gens ne font pas ça pour faire des profits.»

Depuis 30 ans, la LNI a fait des petits, une ribambelle d'enfants plus ou moins légitimes. De nouvelles générations ont modifié le concept, changé des règles, etc. Ils en ont fait autre chose, plaident-ils. Par le passé, des chicanes ont d'ailleurs secoué la famille éclatée de l'impro. La Fédération québécoise d'improvisation a tenté d'uniformiser les règles et de percevoir des cotisations. L'expérience a fait long feu.

«Si l'impro a pu survivre, prendre de l'ampleur, devenir quelque chose de très important dans la culture québécoise, c'est que des centaines de jeunes ont joué dans les écoles secondaires et ont continué à jouer par la suite», fait valoir Christian St-Pierre, président de la Ligue d'improvisation de Québec (LIQ). Selon lui, la LNI profite aussi de la mise sur pied d'autres ligues, où elle va chercher des recrues.

«Nous ne sommes pas riches, mais il y a des ligues dont la situation est pas mal plus précaire que la nôtre», dit-il. À titre d'exemple, s'il fallait que la LIQ paie un tarif de 100$ par spectacle (la somme versée par représentation par la SOQUAD aux auteurs joués dans les écoles), cela correspondrait à environ le tiers de son budget. «Ce ne serait vraiment pas réaliste. Il faudrait charger un prix fou, les joueurs devraient payer des cotisations épouvantables.»

Michaël Robert est du même avis: «Si on commençait à payer des droits, il y aurait moins de joueurs intéressés, moins de gens intéressés à les suivre. On perdrait un peu notre relève.» D'ailleurs, pour lui comme pour Christian St-Pierre, l'idée même de verser des redevances n'est pas acquise: «Qui paie des droits pour jouer au hockey?»