La récente victoire de Claude Robinson contre Cinar a de quoi encourager les artistes québécois, qui sont peu nombreux à poursuivre, mais assez nombreux à se faire voler - ou à croire qu'on leur a volé - leurs oeuvres. Portrait de ces fraudes parfois banales, parfois incroyables, que l'internet rend de plus en plus faciles à réaliser.

Il y a quelques années, les tableaux de plusieurs artistes du Québec et du Canada ont été vendus à vil prix par une galerie chinoise. Le problème, c'est que les peintres n'étaient pas au courant. Et qu'il s'agissait en fait de simples reproductions d'oeuvres affichées dans leurs portfolios sur l'internet.

«À la suite de nos démarches auprès du gouvernement chinois et de l'ambassade, les oeuvres ont été enlevées du site», raconte le directeur général du Regroupement des artistes en art visuel du Québec (RAAV), Christian Bédard. Il a été informé par la suite que «des mesures assez draconiennes et des arrestations avaient eu lieu en Chine». Comment s'assurer par la suite qu'il n'y ait plus de contrefaçon? «On a très peu de moyens de contrôle. Cela entraînerait des coûts énormes», dit-il.

Encore aujourd'hui, des sites comme www.europic-art.com offrent des reproductions de toiles de maîtres, mais aussi de peintres plus contemporains. À chacun de vérifier si ses oeuvres s'y trouvent!

En 2001, l'aquarelliste québécois Jean-Yves Guindon a eu la surprise de voir une copie d'une de ses toiles... primée lors d'un concours organisé par la Ville de Mirabel. Une copie faite apparemment en toute bonne foi par une imitatrice, qui avait même fait imprimer des cartes de Noël avec sa scène hivernale.

Après des pourparlers entre son avocat et les assureurs de Mirabel, il a été dédommagé. Somme reçue: 500 $. C'est 10 000 fois moins que la somme accordée la semaine dernière à Claude Robinson. Toute autre affaire, toute autre ampleur.

Ce n'était pas la première fois que Jean-Yves Guindon constatait que des peintres - le plus souvent amateurs - copiaient ses oeuvres. Mais le fait que l'oeuvre plagiée ait gagné un concours l'a particulièrement indisposé: «Cela fait 25 ans que je peins à plein temps. Dès ma première oeuvre, je me suis donné comme diktat de ne pas faire de copie. Des copies, on fait ça quand on apprend.»

Il est plutôt rare que des artistes cognent à la porte de leurs associations pour se plaindre d'avoir été plagiés ou volés, constate-t-on, tant du côté de la Société des auteurs de radio-télévision et cinéma (SARTEC), de l'Union des écrivains du Québec (UNEQ) que du RAAV.

D'après Daniel J. Gervais, professeur de droit à l'Université d'Ottawa et spécialiste de la propriété intellectuelle, il y aurait en moyenne une ou deux poursuites pour plagiat d'oeuvres artistiques au Québec chaque année.

À l'échelle du Canada, il y en aurait quelques-unes de plus. «Mais la vraie statistique, qu'on ne saura jamais, c'est combien d'artistes n'ont pas les moyens d'aller jusqu'au bout d'une poursuite», souligne l'expert.

Pourtant, lorsqu'ils se rendent en cour, les artistes ont souvent gain de cause. Les causes récentes ont plutôt tendance à pencher du côté des artistes, estime le professeur Gervais. Mais contrairement au cas Robinson, les dédommagements se situent généralement sous la barre des 100 000 $.

Balayeuse et soumission

Pour sa part, Me Normand Tamaro, avocat spécialisé en droit d'auteur, a déjà rassemblé une trentaine de nouveaux jugements touchant au droit d'auteur depuis la fin 2008. Et à son cabinet, les demandes d'aide sont incessantes, dit-il.

Il faut dire que le droit d'auteur n'est pas réservé aux artistes. Des modes d'emploi de balayeuse, des recherches universitaires et même des soumissions pour appel d'offres ont déjà fait l'objet de litiges. Les sommes en jeu?

«Tout est fonction de l'exploitation faite de l'oeuvre, dit-il. Il m'arrive souvent de dire à des gens que s'ils poursuivent, ils peuvent être certains que l'autre partie va faire faillite.»

À qui les idées?

Professeur de littérature au Collège Maisonneuve, Christian Roy a écrit en 2004 une comédie musicale inspirée des chansons de Beau Dommage. Il a envoyé son manuscrit à plusieurs maisons de production, à des metteurs en scène, à des compagnies de théâtre. Son projet n'ayant pas eu de suite, il l'a laissé sur un site internet pour recueillir des commentaires.

La semaine dernière, il a appris avec surprise qu'une comédie musicale inspirée de Beau Dommage verra le jour au printemps prochain. M. Roy a constaté que ce projet était différent du sien à plus d'un égard (nombre de personnages, histoire, etc.) et ne considère pas avoir été plagié. Mais son cas illustre bien la volatilité des idées. Comment savoir si c'est son idée, semée un peu partout, qui a fait du chemin involontairement et à l'insu de tous?

Tout est dans l'expression

«Ce n'est pas l'idée qui est protégée, mais l'expression de l'idée», explique le directeur général de la SARTEC, Yves Légaré. «L'idée doit être suffisamment exprimée (et détaillée) pour que ce soit quelque chose d'original.» De plus, il est difficile de prouver qu'il y a plagiat si on ne peut pas faire la preuve que d'autres ont eu accès à l'oeuvre. Ainsi, il suggère aux auteurs de soumettre leurs idées - lorsqu'elles sont suffisamment étayées - à un nombre très restreint de producteurs. Son association offre d'ailleurs un service de dépôt confidentiel de manuscrit.

De même, pour limiter les copies sur l'internet, la RAAV recommande à ses membres de limiter la taille des photos mises en ligne à une résolution maximale de 72 points par pouce.

Le jugement dans l'affaire Robinson-Cinar pourrait remettre les pendules à l'heure pour ceux qui croyaient qu'on pouvait aller relativement loin dans la copie sans être inquiété, estime Me Tamaro, qui est également chargé de cours à l'UQAM. Il pourrait nuancer entre autres le concept selon lequel l'idée elle-même n'est pas protégée.

Le jugement fait ressortir que le droit d'auteur se mesure de façon qualitative, et non en termes quantitatifs (nombre de notes ou d'éléments copiés), explique-t-il. «Il y a plagiat quand on peut reconnaître la signature de l'auteur.»

Par ailleurs, la définition du droit d'auteur a connu un sérieux bouleversement depuis que l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a commencé à s'en mêler en 1995, souligne de son côté Me Gervais. À la Convention de Berne de 1886 - très pro-auteur et rédigée entre autres par Victor Hugo (!) - s'est ajoutée une définition plus commerciale: «S'il n'y a pas de perte d'argent, il n'y a pas de violation de droits d'auteur, résume Me Gervais. Ça, c'est radicalement nouveau.»