C'est la rentrée et, d'ici quelques jours, toutes les stations de radio auront mis en ondes leurs émissions automnales. Chacun retrouvera ses petites habitudes. Surtout, chacun renouera avec les voix auxquelles il est attaché. Même si ce n'est plus tellement pour leurs cordes vocales qu'on recrute les gens à la radio.

En mars dernier, Jacques Fabi a animé pour la dernière fois Bonjour la nuit, rendez-vous radiophonique des noctambules depuis plus de 30 ans. Il y a quelques semaines, Raymond Archambault a quitté Radio-Canada après 26 ans à la barre du radiojournal du matin. Du jour au lendemain, l'un et l'autre ont laissé dans le deuil des milliers d'auditeurs.

 

Ces deux hommes de radio n'étaient pas de ceux qu'on appelle les rois des ondes. Encore moins de ces vedettes du micro qu'on reconnaît sur un panneau planté en bordure de la route. Jacques Fabi et Raymond Archambault étaient au contraire deux des visages les moins connus de la radio québécoise.

Mais c'étaient des voix familières pour les fidèles du 98,5 FM et de la Première chaîne de Radio-Canada. Presque des amis intimes, constate-t-on, en parcourant les témoignages et commentaires suscités par leurs départs. Un attachement d'autant plus étonnant dans le cas de Raymond Archambault, son rôle de lecteur de nouvelles lui interdisant d'afficher sa personnalité et encore moins ses opinions.

Ce que les auditeurs de Radio-Canada aimaient, c'était donc sa voix: son timbre, sa diction et son rythme. «Il était clair. Il n'avait jamais l'air pressé, pourtant il avait le même temps que les autres pour lire ses nouvelles», fait valoir Gisèle Trépanier, comédienne qui fait également de la formation micro pour la société d'État.

Pouvoir intime

L'attachement aux voix de la radio, Gilles Proulx l'explique par «la familiarité», «l'intimité» que parviennent à créer certains animateurs. Il parle d'expérience: un an après avoir mis fin à une longue carrière radiophonique, il dit recevoir encore «des milliers de témoignages d'affection» de gens qui s'ennuient de lui et de sa façon d'animer.

Retrouver jour après jour les mêmes voix, même-heure-même-poste, est rassurant, juge pour sa part Pierre Pagé, animateur de C't'encore drôle à Énergie. Surtout le matin. «Chacun a ses petites habitudes, sa petite routine», dit-il. La preuve, selon lui, c'est qu'il y a peu de fluctuations dans les habitudes d'écoute le matin. Ces dernières années, Puisqu'il faut se lever (de Paul Arcand, au 98,5 FM), C'est bien meilleur le matin (animé par René Homier-Roy à la Première Chaîne) et C't'encore drôle (que Pierre Pagé coanime avec Mitsou et Jean-François Baril) figurent toujours parmi les trois émissions les plus écoutées à Montréal.

Syntoniser la même antenne tous les jours est aussi une affaire d'atomes crochus. On arrête son choix sur une émission dont le ton nous plaît. Ou sur les voix qui nous touchent. «Il y a des gens qui me disent qu'ils ont besoin de mon rire le matin», raconte Pierre Pagé. «On entre dans l'oreille des gens, on s'adresse directement à eux», souligne Monique Giroux, qui a quitté Fréquence libre (diffusée à la Première chaîne) l'an dernier pour s'installer à Espace musique.

En voie d'extinction?

De l'avis général, une bonne voix de radio est généralement basse, ronde et chaleureuse. Comme celle de Michel Désautels. Ces critères s'appliquent aussi aux femmes. Détail intéressant, le qualificatif «rassurante» revient continuellement lorsqu'on tente de circonscrire ce qu'est une bonne voix de radio. «Paul Arcand a une voix rassurante, parce qu'assurée», illustre notamment Monique Giroux.

Ça ne signifie évidemment pas que tout le monde doive adopter le ton du bon père de famille. «Il faut savoir jouer de sa voix en animant à la radio, affirme d'ailleurs Gilles Proulx. Il faut être dramatique, savoir la monter ou la baisser. Ce ne sont pas tous les animateurs qui y arrivent.»

«Si je suis en ondes comme je suis à l'épicerie, tout le monde va s'endormir, dit pour sa part Monique Giroux. Il faut savoir se décupler, tout en gardant assez de retenue pour que ça n'éclabousse pas.»

Malheureusement, déplorent ces deux animateurs, leur métier se perd. «On prend n'importe qui n'importe quand», dénonce Gilles Proulx. Ces dernières années, on a d'ailleurs vu des ex-lofteurs peu éloquents et même l'ancienne compagne d'un ministre conservateur, rendue célèbre par un décolleté plongeant, se trouver un micro.

«Les directeurs de la programmation embauchent des gens venant de la télé qui n'ont pas nécessairement les plus belles voix du monde», déplore pour sa part Stéphane Leduc, directeur pédagogique de l'école ProMédia et rédacteur en chef du magazine Dress to Kill.

«L'attention qu'on porte aux voix diminue, constate aussi Monique Giroux. Si à une certaine époque, cela a été l'un des deux ou trois critères primordiaux dans l'embauche d'un animateur, maintenant, je crois que c'est le cadet des soucis de l'employeur.»