Une femme sera fort probablement nommée aujourd'hui à la tête du Musée d'art contemporain de Montréal. Au Québec, ce n'est pas nouveau, mais dans l'univers plutôt traditionaliste de la muséologie, notre société se distingue dans le monde.

À Montréal, quatre des plus importants musées sont dirigés par des femmes. À Québec, les deux plus importants établissements muséaux aussi. Entre les deux, une femme dirige également l'un des plus dynamiques musées régionaux, celui de Joliette.  

Même s'il y a de plus en plus de femmes qui occupent des postes de direction dans les musées, un peu partout dans le monde, les plus grands établissements leur échappent encore trop souvent.

 

En poste à Pointe-à-Callière depuis son ouverture en 1992, Francine Lelièvre fait partie de la première génération de femmes qui ont accédé à la direction d'un établissement muséal. Mais elle reconnaît que c'est loin d'être le cas partout.

 

«Les Québécoises ont toujours pris leur place, croit-elle. C'est un signe des temps et c'est ainsi dans l'ensemble de notre société. Il y a plus de femmes diplômées qu'avant. Nous sommes partout.»

 

À Québec, la nouvelle directrice du Musée national des beaux-arts, Esther Trépanier, a eu une prédécesseure, Andrée Laliberté-Bourque, dans les années 80. Elle croit aussi que la société québécoise a changé rapidement. Cette conjoncture n'existe pas nécessairement en Europe, où les traditions sont lourdes, quasi millénaires.

 

«Ici, les stéréotypes sont moins ancrés, note-t-elle. Les femmes ont fait des avancées assez spectaculaires en peu de temps. On vient d'une société cléricale fermée où les femmes n'avaient accès aux études supérieures qu'en petit nombre.»

 

Née en France, où les hommes restent aux commandes autant dans les musées que dans les établissements théâtraux et musicaux, Nathalie Bondil a été la première femme nommée à la direction du Musée des beaux-arts de Montréal. Elle n'a senti aucune réticence à sa nomination et pense aussi que le Québec a une longueur d'avance.

 

«Au Québec, dit-elle, on a dépassé ces questions du sexe par rapport à une profession. C'est une société libre où les choix sont faits en fonction des compétences des gens. Le Québec est une société très ouverte. Mais ailleurs, il y a de plus en plus de femmes aussi.»

 

Elle estime que le Québec, par ses racines assez matriarcales, a toujours laissé une très belle place aux femmes, «mais sans aucune concession sur la qualité du travail. On a permis à ces générations de femmes de s'améliorer avec le temps.»

 

Directrice du Musée de Joliette, Gaétane Verna cite plusieurs femmes qui sont passées aux commandes au cours des ans: Suzanne Pagé à Paris, Shirley Thompson à Ottawa et Kathleen Bartels à Vancouver.

 

«Au Québec, ajoute-t-elle, je crois que les conseils d'administration font des choix éclairés et qu'il y a une ouverture d'esprit remarquable à ce sujet. On donne la chance au meilleur.»

 

Photo: Rémi Lemée, archives La Presse

Née en France, Nathalie Bondil a été la première femme nommée à la direction du Musée des beaux-arts de Montréal.

Des musées... féminins?

Reste à savoir si la présence des femmes à la tête des établissements apporte une touche particulière à la programmation et à la gestion des musées. Francine Lelièvre le croit.

 

«C'est légitime de penser, fait-elle, que l'expression muséale puisse être teintée d'une certaine féminité. Je crois que nous sommes davantage portées vers les relations humaines et le souci du détail. Par exemple, le programme pour les poupons du Musée McCord (dirigé par Victoria Dickenson), je ne crois pas qu'un homme aurait pensé à ça. Notre production muséale nous ressemble.»

 

Nathalie Bondil n'est pas du même avis, même si elle avoue que les femmes sont peut-être «plus inclusives» dans leurs choix. Gaétane Verna abonde dans le même sens en disant que les qualités qui font une bonne direction ne sont pas liées au sexe de la personne en poste.

 

«Pour faire ce travail, souligne-t-elle, il faut avoir des compétences en matière scientifique, des qualités de rassembleur, une attention aux détails, un sens de l'administration et des affaires et une vision axée sur le développement et le rayonnement de l'établissement autant en ce qui a trait aux expositions qu'auprès du public.»

 

Esther Trépanier ajoute que les femmes ont souvent dû, dans les entreprises muséales ou autres, travailler plus fort pour obtenir un poste d'importance.

 

«Il ne faut pas se le cacher, dit-elle, dans les entreprises culturelles où il y a peu d'argent, on accorde plus facilement un poste à une femme. C'est vrai que nous sommes habituées à faire plus avec moins. Mais être femme ne rend pas sainte pour autant.»

 

Et l'équité?

Est-ce à dire que les femmes ont éprouvé des difficultés particulières pour arriver à un poste de direction? Oui, le travail peut comporter certains obstacles liés au fait d'être femme, signale Francine Lelièvre.

 

Il y a une différence, selon elle, quand vient le temps de négocier à l'étranger, notamment au Proche-Orient et en Extrême-Orient, mais elle considère qu'il s'agit de défis et non de barrières comme telles.

 

«Il est évident que, dans les entreprises de haute technologie de taille similaire à un musée comme le mien, poursuit Gaétane Verna, les salaires seront plus élevés, mais cela correspond à un choix de société ainsi qu'à l'offre et à la demande.»

Esther Trépanier ajoute que les femmes ont peut-être tendance à moins négocier leurs conditions salariales.

 

«Mais c'est probablement vrai aussi dans d'autres professions, note-t-elle. J'ai été très surprise de voir la rémunération extrêmement raisonnable de Monique Leroux à la tête de Desjardins.»

 

Selon Francine Lelièvre, il arrive que «les hommes demandent des avantages auxquels les femmes ne penseront pas», mais, ajoute-t-elle, l'équité salariale est désormais une réalité au Québec.

 

«Le secteur culturel est toujours en demande d'argent, mais c'est un milieu qui draine bon nombre de gens passionnés qui s'investissent totalement. Et la passion ne connaît pas de différence de sexe», conclut-elle.