Un nouveau Enki Bilal, ce n'est pas tous les jours. Pour son dernier opus, le dessinateur d'origine yougoslave tranche avec l'univers «monstrueux» de sa précédente série.

Dans un futur proche ou lointain - à chacun de tirer sa conclusion -, la nature s'est révoltée. La Terre a subi le «Coup de sang», un dérèglement climatique brutal et généralisé. Avec la catastrophe est venu le chaos: les mers ont monté et l'eau douce est devenue l'obsession des hommes. Enfin de ceux qui restent.

Mais sont-ce bien des hommes? Soumis à des transformations qui leur ont permis d'hybrider leur génome à celui d'animaux, certains sont devenus des mutants, mi-homme, mi-dauphin.

Dans ces terres hostiles, seules quelques parcelles sont habitables, hypothétiques Eldorado où homme et animal vivraient en parfaite symbiose. Pour s'y rendre, il faut chevaucher des déserts et des mers, qui à dos de zèbres, qui sur des yachts luxueux armés jusqu'aux dents. C'est le règne du chacun pour soi, mais la rencontre fortuite de quelques errants solitaires leur permettra, peut-être, de trouver asile.

La science-fiction, façon Bilal, pousse dans le terreau fertile de notre époque. À l'heure des manipulations génétiques et du réchauffement climatique, les angoisses d'aujourd'hui trouvent une résonnance terrifiante.

Dans cet album, qui se veut un tout (un one-shot, comme disent les Chinois), le bédéiste provoque la réflexion sur les conséquences de l'arrogance humaine. Mais il questionne aussi les frontières fragiles qui séparent l'homme de l'animal. Retrouver son animalité représente la seule planche de salut d'une humanité à la veille de l'extinction. Quitte à passer par quelques mutations génétiques...

Décrit par l'auteur lui-même comme un western aquatique, cet album s'inspire à la fois du Monde du silence de Jacques Cousteau et des films de Sergio Leone. Cette fois, la poésie a pris le dessus sur l'action. Certains admirateurs risquent d'ailleurs d'être déçus par ce scénario qui part parfois à la dérive comme les glaces de l'Arctique sous un coup de chaleur.

Sorti épuisé des 12 années de création de sa tétralogie des Monstres, Bilal aspirait à un renouveau, à tout le moins sur le plan graphique. «Ces quatre volumes étaient ultra sombres, violents, désespérés. La thérapie pour sortir de cet enfer en peinture, ç'a été de revenir au dessin pur», explique-t-il dans le document de presse.

Le résultat est magnifique, comme chaque fois que Bilal se penche sur une table à dessin. Les planches, plus dépouillées qu'à l'ordinaire, baignent dans un climat glacial. Le dessin exécuté sur du papier gris se décline en noir et blanc, à peine rehaussé par des touches de rouge. Apocalyptique. Oppressant. Dérangeant.

Bref, de la bonne, très bonne bédé.

Animal'z

Enki Bilal

Casterman

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