Les nouveaux médias ont semé la mésentente au conseil d'administration de l'ADISQ. Les perspectives d'un partage imposé des revenus entre créateurs et fournisseurs de contenus opposent Quebecor au reste du CA Le conglomérat médiatique refuse ainsi d'appuyer la position de l'ADISQ, qui a demandé au CRTC de réglementer les nouveaux médias.

Au moment où les ventes de CD chutent, l'ADISQ aimerait bien trouver un moyen de s'assurer que les créateurs soient rémunérés à leur juste valeur. C'est pourquoi l'association qui se consacre à la défense de l'industrie musicale québécoise a demandé par mémoire au CRTC (dans le cadre d'une consultation sur les nouveaux médias en février dernier) de soumettre les nouveaux médias à des règles strictes, qui pourraient se traduire par une obligation de diffusion de contenus locaux, comme à la radio, ou le transfert d'une partie des revenus des fournisseurs d'accès vers les producteurs de contenu. Une position qui ne fait pas l'affaire de Quebecor, loin de là.

«Groupe Archambault et Quebecor Média ont inscrit leur dissidence sur l'ensemble du mémoire de l'ADISQ, mais ils siègent toujours au conseil d'administration», a indiqué Solange Drouin, interrogée hier aux Rencontres québécoises de l'industrie de la musique. La directrice générale de l'ADISQ n'a pu révéler les fondements du désaccord des représentants de Quebecor et Archambault avec les autres membres du conseil d'administration, «car ces discussions sont confidentielles».

La position délicate de Quebecor, qui est à la fois fournisseur d'accès internet (Vidéotron), producteur et distributeur de contenus (Quebecor Media, Groupe Archambault), est prévisible dans ce contexte.

«Aux plans réglementaire et juridique, nous estimons ne pas avoir de responsabilités comme fournisseur d'accès internet. Par contre, nous considérons avoir une obligation comme citoyens corporatifs; nous ne pouvons rester insensibles à ce qui se passe actuellement au sein de l'industrie de la musique, d'autant plus que nous sommes nous-mêmes victimes de ces bouleversements», explique Serge Sasseville, vice-président, affaires corporatives et institutionnelles de Quebecor Media et membre du conseil d'administration de l'ADISQ - à l'instar de Pierre Marchand, qui y représente le Groupe Archambault, filiale de Quebecor.

«Ce que nous prônons, c'est que les fournisseurs d'accès internet s'assoient avec les créateurs de contenus et qu'ils définissent ensemble une façon de bâtir un modèle d'affaires et ainsi de surmonter la crise actuelle. Les paramètres ne sont peut-être pas encore définis, mais il faut arrêter la confrontation et voir plutôt ce qu'on peut faire ensemble», ajoute Serge Sasseville, interviewé il y a quelques jours... et qui brillait hier par son absence aux Rencontres québécoises de l'industrie de la musique. Il n'a pas répondu aux appels de La Presse pour justifier cette absence.

On comprend tout de même que Quebecor mette de l'avant un point de vue différent des autres fournisseurs d'accès internet (beaucoup plus rébarbatifs à la rémunération des contenus), car le consortium québécois semble préférer s'entendre directement avec les ayant droits (créateurs, éditeurs, producteurs) plutôt que d'être contraints à une fourchette de réglementations étatiques qui en fixent les paramètres - tarification obligatoire, pourcentage de bénéfices à partager, création de fonds à la production à partir des bénéfices de l'entreprise, etc.

«Le CRTC n'est plus en mesure de contrôler l'accès au marché, ce qui était historiquement son rôle. Il faut donc adapter nos outils à la réalité d'aujourd'hui, c'est-à-dire trouver d'autres mécanismes que ceux développés à une époque où le Conseil contrôlait l'entrée au marché, et pouvait jusqu'à un certain point dicter ce que l'auditoire pouvait consommer. Ce n'est plus le cas maintenant», explique à son tour Pierre-Louis Smith, vice-président politique et agent en chef de la réglementation à l'Association canadienne des radiodiffuseurs.

«Soyons logiques, les gens qui écoutent de la musique peuvent désormais court-circuiter le système. Et, comme le système repose sur des mécanismes d'appui au développement de contenus musicaux canadiens et francophones, il est dans l'intérêt de l'industrie de la radio de continuer à s'assurer qu'on en augmente l'écoute, peu importe la plateforme. Si on continue à réglementer la radio, et qu'on ne le fait pas pour les nouveaux médias, on crée un système à deux vitesses», croit Pierre-Louis Smith.

Si les fournisseurs d'accès internet refusent d'emblée d'être contraints à injecter une portion de leurs revenus par le biais d'une réglementation de l'État, les producteurs de l'ADISQ pourraient tendre vers cette solution. À tout le moins, ils exigent de poursuivre la discussion sur cette question puisque le modèle d'affaires sur l'internet est toujours déficient. D'où cette division au sein de son conseil d'administration.

«L'idée, c'est de demander comment faire pour assurer la présence et l'essor des productions canadiennes dans ce nouvel environnement, rappelle Pierre Trudel professeur titulaire de la chaire LR Wilson sur le droit des technologies de l'information et du commerce électronique à l'Université de Montréal. L'essentiel du débat, c'est de savoir comment faire pour réintroduire certains flux financiers de cet environnement dans la production de contenus canadiens. Évidemment, les avis divergent sur les moyens d'y parvenir. Si les consommateurs cessent d'acheter des CD et obtiennent la même chose sur l'internet, il faudra se demander comment récupérer la valeur attribuable à cet accès aux contenus pour en financer la création. C'est le grand défi.»