Les artistes québécois sont contents, mais déçus. Contents de constater que leurs protestations ont porté leurs fruits et empêché, au Québec du moins, les conservateurs de former un gouvernement majoritaire. Déçus parce que, malgré tout, les conservateurs ont été élus, plus forts et plus nombreux qu'avant.

Au lendemain du vote, tous les principaux journaux sont revenus sur la question des arts et ont sondé, qui les reins de Michel Rivard, qui le coeur de Vincent Graton, qui la guitare de Pierre Lapointe. En soi, c'est déjà une immense victoire pour le milieu culturel qui, pour une rare fois, a été partie prenante d'un enjeu dont il est habituellement exclu.

 

Qui se soucie des artistes pendant les élections fédérales? Personne. Combien de débats des chefs ont déjà soulevé des questions d'art et de culture? Aucun jusqu'au plus récent débat. Cela ne veut pas dire qu'à partir de maintenant, la culture va faire partie des meubles de ce pays au même titre que la santé ou l'économie, mais tout de même, un pas important a été franchi. Il est le signe que lorsque les artistes se sentent suffisamment menacés pour passer à l'action de manière solidaire, ils peuvent faire une différence. Cela dit, ne nous racontons pas des histoires: les artistes ont été aussi bons à saisir la balle au bond que leurs adversaires conservateurs ont été maladroits, lents à réagir et souvent carrément à côté de la plaque. Avec un peu de stratégie, un peu de sensibilité et une meilleure compréhension de l'inconscient collectif québécois, les conservateurs auraient pu réparer les dégâts avant l'issue finale. Pour cela évidemment, il aurait fallu qu'au lieu de se cacher au fond d'une grotte ou de se pousser avec les peintres du dimanche de sa circonscription, Josée Verner ait eu le courage de confronter les artistes, de leur proposer un plan B et, surtout, de les rassurer sur l'importance qu'elle accorde à la culture. C'était trop lui demander. À sa décharge, disons que son chef n'a pas fait mieux. Au lieu de tendre la main aux artistes, Stephen Harper a préféré les attaquer à grands coups de sarcasmes électoralistes. Puis à minuit moins cinq, les conservateurs se sont réveillés et ont lancé un os à la meute affamée: le retrait de l'amendement au projet de loi C-10 qui permettait au gouvernement de refuser le financement de tout film dont les propos seraient contraires à l'ordre public. Même si personne n'a applaudi, le point gagnant est allé aux artistes, à qui Harper venait de donner raison.

Reste que cette victoire morale des artistes vient avec deux bémols. Le premier, c'est que Josée Verner, soi-disant «l'ennemie numéro un des arts», a été réélue avec une belle majorité alors que Michael Fortier, le seul vrai allié du milieu culturel montréalais, a été défait.

Bien qu'il ne soit pas le plus engageant des hommes, Fortier s'est démené pour Montréal et a fait avancer rondement certains dossiers comme le Quartier des spectacles. Si Gilbert Rozon s'est porté à son secours à la dernière heure, c'est parce que l'implication du ministre à Montréal a été payante. Avec son successeur, probablement Lawrence Cannon, un gars né à Québec qui vit depuis plus de 10 ans à Gatineau, il va falloir recommencer à zéro. Rien pour aider Montréal ni dissiper le nuage de morosité qui plane sur la ville. Deuxième bémol, les conservateurs n'ont pas la réputation de pardonner facilement à ceux qui les ont offensés. On les dit rancuniers et portés sur les règlements de comptes. Et même si les structures des institutions culturelles fédérales sont démocratiques et à l'abri des tentations de représailles, on se doute que les conservateurs ne portent pas les artistes québécois dans leur coeur en ce moment. Espérons que le froid sera temporaire et surtout que les artistes qui ont gueulé le plus fort ne se retrouveront pas, comme par hasard, sur la paille l'hiver prochain...

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