On raconte l'histoire de cet homme qui, détestant à égalité l'enseignement et la littérature, se fit professeur de littérature. La plaisanterie ne peut viser Emmanuel Bouchard, qui non seulement enseigne la littérature mais encore la connaît et l'aime, comme l'atteste de manière convaincante son premier recueil de nouvelles, Au passage.

Saint-Denys Garneau et Miron font belle figure, à leur juste hauteur, parmi les citations et allusions qui émaillent quelques-uns des 18 textes, en majorité inédits, qui constituent le recueil. Des auteurs étrangers, au souffle long comme Zola, Balzac ou Proust, ou d'autres qui marinent au purgatoire, tel Xavier de Maistre, révèlent par personnages interposés la curiosité de l'auteur et l'éclectisme de ses appétences littéraires.

L'inspiration des nouvelles emprunte au tout et aux riens du quotidien de gens simples, ce qui impose à la fois une grande sobriété et de subtils recours aux artifices qui empêchent la banalité de sombrer dans l'insignifiance. Ce prudent dosage limite pourtant la minimale recherche d'effets qui fait d'une nouvelle un spectacle qui emporte l'adhésion des lecteurs. Il s'agit moins d'inventer une chute imprévisible ou de multiplier les prouesses que de relier tous les éléments dans une chaîne qui paraîtra suffisante et nécessaire. On est contraint souvent de constater que quelque chose n'a pas eu lieu qui aurait pu inscrire dans la mémoire une trace, une émotion peut-être, qui seraient la signature unique et inimitable de l'auteur.

Malgré leur faible définition, quelques personnages ne sont pas pour autant sans relief, habités qu'ils sont par la monomanie, mine littéraire inépuisable. Obsession anodine chez Cyprien, le protagoniste de la nouvelle «Le livre de poèmes», qui ne lit que des romans immenses mais redécouvre les Poèmes de Saint-Denys Garneau auxquels il rendra leur virginité et leur lumière en effaçant patiemment le lourd appareil critique dont il les a autrefois encombrés. Clin d'oeil ironique de M. Bouchard aux savants docteurs en littérature dont il fait partie? Dans «Point d'orgue», le même Cyprien, ou un autre, observe un vieil homme qui à une fenêtre paraît lire, mais c'est le livre qui lit l'homme... De semblables trouvailles donnent du piquant à un recueil qui en manque un peu.

Emmanuel Bouchard n'a rien concédé à la mode de l'exotisme, qui transporte les personnages de fiction à travers les siècles et les continents. La Basse-Ville de Québec, espace jadis déprimant que les touristes ne fréquentent pas encore, est le théâtre idoine de son propos. Il en fait même le personnage principal, celui qui définit en partie tous les autres. Là se trouve l'unité de nouvelles inégalement achevées mais assez bien lancées pour titiller l'attention, sans la retenir.

Au passage

Emmanuel Bouchard Hamac, Québec, 2008. 16,95$ HH 1/2