Martin Amis est un vieux routier du roman britannique. Fils de la haute société littéraire, Très brillant, parfois épris de son propre style, il peut devenir son pire ennemi lorsqu'il se regarde écrire.

Après quelques pages, j'ai compris que cette fois l'intelligence de l'auteur est au service d'une histoire fascinante qui a formé notre époque: la corruption politique et humaine de l'empire soviétique, mort en 1989, et qui n'arrête pas de mourir depuis (comme dans le cas de la guerre entre la Russie et la Géorgie).

Martin Amis met en scène un narrateur sans nom et son frère Lev, tous deux prisonniers politiques sous Staline, bien que le frère sans nom ait participé aux batailles qui ont donné la victoire aux Russes contre les Allemands. Les deux frères aiment la même femme, Zoya, qui est la légitime épouse de Lev, chétif, laid, mais amant hors pair. Comme dit le narrateur au tout début, «l'histore d'amour est de forme triangulaire, et le triangle n'est pas équilatéral». Nous verrons même qu'il se termine «en une pointe très aigüe».

Deux frères dans des circonstances désespérées qui aiment la même femme - Mélodrame, direz-vous? Pas du tout. Nous sommes en Russie, en Union soviétique, et c'est une histoire de survie: le mélodrame n'a pas sa place. C'est plutôt le cynisme. Comparé à son frère Lev, le narrateur est un monstre de cynisme, un vrai Russe, et Martin Amis a réussi à cerner les traits russes de façon magistrale. Nous ne sommes pas obligés d'être amis avec le narrateur. Mais le suivre, oui, nous le suivrons n'importe où.

Et c'est le cas de le dire! Ce personnage a connu la Deuxième Guerre mondiale, le goulag sous Staline, le défilé de leaders soviétiques, la libération des camps, la "réhabilitation" (lorsqu'on cesse d'être un ennemi du peuple), l'intégration à l'économie au noir postsoviétique, et même le paradis de l'Occident. Où qu'il aille, ce grand survivant est incapable d'oublier, de tourner la page. Si la santé consiste à «passer à autre chose», il tient plutôt à la maladie. Son seul bonheur, nous dit-il, c'est que la Russie se meure.

Malgré la dureté du personnage et de son époque, il est beaucoup question d'amour dans ce roman. À commencer par le titre: La maison des rencontres. C'est le petit chalet où les prisonniers politiques avaient le droit de recevoir des visites conjugales. Une visite entre Lev et Zoya forme le noeud du roman, et le noyau dur de la jalousie qui ronge le coeur du narrateur. «Tu peux vivre mais tu ne peux pas aimer» - c'était le slogan des geôliers du goulag. Les personnages de ce roman extraordinaire vont essayer de prouver le contraire.

La maison des rencontres

Martin Amis, traduit par Bernard Hoepffner et Catherine Goffaux Gallimard, 284 pages,36,95$ ****