Refus global. Écrit sans article: ce n'était ni «un» refus parmi d'autres ni «le» refus, comme le donne à penser l'ouvrage de Jonathan Meyer sorti cette semaine chez Michel Brûlé: Les échos du Refus global.

Refus global... Le titre original ne laissait d'espace au compromis ni avec le présent d'alors ni avec le passé de la nation canadienne-française. Un passé qui, dans le manifeste de 1948, apparaît comme un continuum de servage d'un «petit peuple» tremblant à l'ombre des «murs lisses de la peur, refuge habituel des vaincus» ou marchant, cierge à la main mais sans espoir, dans «la profonde ornière chrétienne».

Le document - lancé à 400 exemplaires le 9 août 1948 - avait été écrit par le peintre Paul-Émile Borduas, figure de proue du mouvement automatiste «qui évacue l'intention au profit de l'intuition et de l'impulsion primitive». Le maître - qui avait étudié à Paris l'intégration de l'art abstrait dans l'art religieux - se consacrera bientôt à la peinture non figurative, qu'ignorera une société «envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d'oeuvre d'Europe».

Passent ensuite dans la même moulinette que l'Église et son clergé, la science et sa «cruelle lucidité», l'économie et son «efficacité de malheur», assise de la civilisation des nations dominantes que les opprimés, dans leur ignorance ou leur lâcheté, s'acharnent néanmoins à défendre. Ici la censure - où trouver les écrits de Sade et de Lautréamont à Montréal?-, là, l'incapacité de la poésie à changer le monde bien que «des consciences s'éclairent au contact vivifiant des poètes maudits».

Soixante ans après la publication du célèbre texte, Jonathan Meyer, professeur de philosophie à Sherbrooke, s'est proposé de voir comment cet appel à la liberté peut trouver écho dans ce Québec moderne où règne un «cynisme généralisé».

Parce que «le discours artistique dont l'objet est politique est plus libre que le discours politique lui-même», l'auteur a choisi d'explorer la question avec l'aide d'artistes de générations et d'horizons divers: Françoise Sullivan, Pierre Gauvreau et Marcel Barbeau, trois signataires de Refus global; le monologuiste Yvon Deschamps et le «milliardaire» de l'art Raôul Duguay; la femme de théâtre Lorraine Pintal et la journaliste et écrivaine Hélène Pedneault, qui signe la préface, assez emportée; la comédienne Tania Kontoyanni et l'actrice et chanteuse Isabelle Blais; l'humoriste «engagé» Christian Vanasse des Zapartistes et le poète-rappeur Biz de Loco Locass.

De ces «entretiens engagés» émergent des propos tantôt surprenants - «Nous n'étions pas des gens de gauche», affirme Pierre Gauvreau - tantôt d'une profonde lucidité comme ceux de Tania K - «L'habitude est pire que la peur» - ou d'Isabelle Blais sur la difficile relation de l'artiste avec l'argent, le pouvoir et ceux qui en ont. Plus loin, on se rend compte que l'émergence de ce «nouvel espoir collectif», au-delà même de la collectivité encore à définir, se bute aux incompréhensions intergénérationnelles, comme le montrent les affirmations de MM. Biz et Vanasse qui poussent au box des accusés baby-boomers, adultes et autres abonnés du TNM.

À travers ça, l'auteur tente de passer son propre message sociopolitique inspiré de Refus global- «se réveiller, contester, réinventer» - et articulé autour de l'incessante quête de «repères identitaires», du «déficit démocratique» et du «pouvoir citoyen». Cela donne un ouvrage hybride - ce qui n'est pas une tare en soi bien que l'on sente parfois sur la page le souffle court du «déficit synthétique». Reste que Les échos du Refus global est à même de susciter la réflexion.

Le lecteur verra par ailleurs que le texte intégral de Refus global- 12 petites pages, à la fin des «échos» mais qu'il faut peut-être lire avant le reste - s'avère encore et toujours de la plus vibrante actualité. Que doit refuser le Québécois d'aujourd'hui pour «devenir un homme neuf dans un temps nouveau»? Joli slogan qui, historiquement, perd des adeptes quand se pose sa nécessaire contrepartie: «À nous le risque total...»

***

Les échos du Refus global

Jonathan Mayer

Michel Brûlé éd. 241 pages 19,95 $