«Le nouveau Wajdi, est-ce que ça dure quatre heures?» me demande mon amie Chantal, comme si elle s'enquérait du temps que prend un traitement de canal. Je la rassure en l'informant que Mouawad a condensé son monologue Seuls pour en faire un truc de même pas deux heures. Chouette. Ça donne le temps d'aller prendre une bouchée après le spectacle.

Le temps au théâtre est un facteur très mystérieux. Chaque seconde de Forêts (qui, lui, durait quatre heures), a captivé mon attention. Même si ce soir de janvier-là, j'avais un rhume carabiné et un début de conjonctivite. Forêts, c'était une saga échelonnée sur plusieurs époques, construite sur un propos brillant et livré dans un rythme archi-efficace. Au nirvana, le temps ne paraît jamais long.

En revanche, j'ai parfois été prise d'impatiences aux jambes, d'incontrôlables bâillements ou, pire, d'indifférence profonde, lors de spectacles de 90 minutes. Je n'ai jamais dormi au théâtre. Mais oui, je le confesse, j'y ai déjà dressé mentalement ma liste d'épicerie.

Pourquoi le temps nous paraît-il plus long dans une salle de théâtre que devant la télé ou dans une salle de cinéma? En raison de la captivité. On ne se tire pas en douce d'une pièce assommante. Pour ne pas vexer les acteurs ou déranger les voisins. Parce qu'on est bien élevé. Tandis qu'au cinéma, on n'hésite pas à abandonner notre sac de pop-corn pour aller voir dans la salle voisine si on y est. Et dans son canapé, on a le contrôle total du dénouement de la série en 13 épisodes qu'on se tape en un week-end.

Dans sa critique de la version «longue» de Lipsynch de Robert Lepage, j'ai trouvé très pertinente la comparaison entre cette pièce «fleuve» avec entractes et le visionnement d'un DVD. Je pense que si Robert Lepage arrive à galvaniser ses fans -dont plusieurs n'aiment pas le théâtre!- c'est non seulement grâce à l'intelligence de ses textes, mais aussi, peut-être surtout, parce qu'il fait du théâtre comme du cinéma.

Mes congénères ont grandi en se gavant de films et de télé. Nous sommes habitués aux plans rapides, à zapper, à avoir le contrôle. Du coup, on devient moins tolérant des longueurs lorsqu'elles nous sont imposées. Je me souviens, par exemple, d'une scène digne d'un épisode de Seinfeld, où mon compagnon de la soirée était sorti en furie d'une salle mal aérée, après une adaptation de deux heures trente d'Andromaque. Et pourtant, ce gars était un cinéphile compulsif qui se tapait absolument tous les films qui sortent en salle jusqu'à la fin, même les navets les plus indigestes.

Le théâtre demande parfois de se déprogrammer et de faire un effort. Parfois, pas toujours, ça vaut vraiment la peine. Pour vous en convaincre, allez faire un tour à l'Espace Go, cette semaine, et délectez-vous de la beauté d'Andrée Lachapelle dirigée par André Brassard, dans Oh les beaux jours. Ou encore, essayez d'avoir des places pour un spectacle de Wajdi, la prochaine fois qu'il sera en ville.