Oh les beaux jours de Samuel Beckett est une oeuvre intemporelle et exigeante, qui prend toute sa force dans le souffle et le sens que lui donne le metteur en scène qui s'y attaque.

Sur la scène de l'Espace Go, apparaît ou plutôt règne une triomphale Andrée Lachapelle, en Winnie dont le bas du corps est prisonnier d'un tas de sable bleu. La beauté et la joie de vivre, qui font un pied de nez au passage du temps: on ne saurait imaginer choix plus éloquent, pour personnifier l'idée de résilience. L'éclairage est vif, violent. La dame, vêtue d'une tenue festive, flotte au-dessus des choses. «Dans la merde jusqu'au cou», elle dit sa lente déchéance avec cette voix chantante incomparable. Un lotus sorti de la boue.

Le tableau, saisissant, est presque insupportable de beauté, de cruauté et de fatalité. Voir ainsi cette Andrée Lachapelle se réjouir de l'absence de douleur, qui clame que la mobilité est une malédiction, qui s'extasie de la beauté du jour, demande la paix (c'est-à-dire la lune), est à la fois dérangeant et apaisant.

On projette ce que l'on veut, sur ce miroir de nos vies qu'est la pièce de Beckett. André Brassard, grandement inspiré par l'aura de sa muse, mise sur le contraste entre la joie et la beauté immortelles de la dame et la tragédie du destin humain. Dirigée par l'homme de théâtre qui retrouve son métier après quatre ans de repos forcé, Andrée Lachapelle a la grâce mélancolique, la légèreté magnifiée par l'immobilité forcée.

Brassard, qui a situé la pièce dans un contexte qui ressemble à un lendemain de catastrophe nucléaire, ne fournit cependant pas au spectateur son interprétation personnelle de la pièce de Beckett. Le texte et la prestation d'Andrée Lachapelle suffisent. De même que l'essentielle présence de Roger Larue, en Willie, l'époux ravagé qui apparaît à quelques reprises, tristement vêtu de haillons sales. Un rôle ingrat qu'il livre avec humilité et justesse.

Autant Winnie est souveraine, dans sa prison qu'elle transforme en trône royal, s'entourant d'objets pour cultiver sa coquetterie, autant Willie s'enlise dans un trou noir de désespoir. Il faut voir Lachapelle exhorter son «mari» d'élever un doigt, pour lui confirmer sa présence. Il lui offrira les cinq. Et elle louera le ciel pour ce «beau jour». Elle a tout perdu ou presque, sa vue décline, elle s'émerveille de la présence d'une fourmi, mais il lui reste sa chanson.

La gravité n'est cependant pas évacuée de cette production d'Oh les beaux jours, qui finit quand même par basculer vers l'inexorablement sombre. Et oui, bien sûr, il s'agit d'une pièce exigeante qui demande une attention soutenue et un effort d'interprétation, de la part du spectateur. Mais l'exercice est payant: on sort de là grandi, troublé, humanisé.

À mon humble avis, cette production d'Oh les beaux jours marque d'une pierre blanche la trajectoire de Brassard et de Lachapelle. De cette rencontre artistique et personnelle est née une pièce forte, significative, totalement singulière. Le genre d'oeuvre qui nous aide à vivre.

Oh les beaux jours, texte de Samuel Beckett, mise en scène d'André Brassard, jusqu'au 11 octobre à l'Espace Go.