On connaît peu la musique sacrée de Schubert. Ce secteur de sa production comprend principalement six messes chantées en latin dont la plus ambitieuse est la dernière, en mi bémol majeur, D. 950. Schubert l'écrivit en 1828, dans les derniers mois de sa vie, et mourut avant la création.

La discographie de la Messe D. 950 découvre quelques noms peu associés à la musique religieuse de Schubert. Ainsi, Erich Leinsdorf, qui l'enregistra avec le Philharmonique de Berlin en 1962. Au plan local, je n'ai retracé que deux auditions ces dernières années: 1986, dir. Agnes Grossmann (dont le père Ferdinand grava l'oeuvre avec les Petits Chanteurs de Vienne), et 1997, dir. Charles Dutoit.

Mais la Messe D. 950 reste peu connue, ce qui rend d'autant plus étonnante la parution simultanée de trois nouvelles versions. Par ordre alphabétique de chefs: Michel Corboz, l'Ensemble vocal et l'Orchestre de chambre de Lausanne, chez Mirare; Richard Hickox et le Collegium Musicum 90, chez Chandos; Morten Schuldt-Jensen, le Immortal Bach Ensemble et l'Orchestre de chambre de Leipzig, chez Naxos.

Totalisant environ une heure, la Messe D. 950 comprend six mouvements. Le rôle le plus important y est donné au choeur et, à un degré moindre, à l'orchestre. À quatre voix et présent dans les six mouvements, le choeur est soumis le plus souvent à un complexe exercice contrapuntique et forme à lui seul une sorte d'"orchestre vocal" face à l'autre.

On compte cinq solistes - soprano, mezzo, deux ténors, basse - mais ils n'interviennent que rarement: les deux ténors et la soprano se partagent une partie du Credo et les quatre solistes principaux (et donc sans le deuxième ténor) ne sont réunis qu'à la fin, dans le Benedictus et l'Agnus Dei. La présente parution totalise donc 15 solistes: on ne va pas les nommer tous!

Corboz nous facilite le choix entre les trois versions avec sa lecture plutôt léthargique que ne rachètent pas quelques accents bien marqués. Son choeur n'articule pas suffisamment le texte et reste d'un niveau amateur - d'un très bon niveau, certes, mais amateur à côté de Hickox et Schuldt-Jensen - et son orchestre, malgré quelques belles phrases des violoncelles, est faible et comme en retrait. Peut-être une question de prise de son. Quant aux voix solistes, elles sont, comme celles du choeur, des plus ordinaires.

La Messe D. 950 prend vie avec les deux autres chefs. Le drame qui habite le Requiem de Mozart se prolonge dans les sombres appels de trombones et les roulements de timbales de cette oeuvre ultime où plusieurs ont vu le propre Requiem du compositeur, et ce drame, Hickox et Schuldt-Jensen le font bien sentir.

Les deux choeurs sont éminemment agissants, leurs séquences fuguées sont d'une grande clarté, avec des groupes particulièrement bien localisés chez Hickox. Les solistes, pour le peu qu'ils ont à faire, sont irréprochables. Signalons Susan Gritton et Mark Padmore chez le chef britannique, qui est aussi celui qui respecte le mieux les tempi indiqués. Schuldt-Jensen est un peu trop rapide ici et là, ce qui lui permet d'inclure un pièce additionnelle, le court Stabat Mater D. 175.

Pour une version à peu près parfaite de la Messe D. 950, on choisira le disque Chandos. Mais il y a un prix à payer: environ 30$. Le disque Naxos constitue un très bon deuxième choix, non seulement à trois fois moins cher, soit environ 10$, mais avec en prime une pièce de plus.

SCHUBERT: MESSE NO 6, EN MI BÉMOLMAJEUR, D. 950. TROIS ENREGISTREMENTS:

MICHEL CORBOZ

MIRARE, MIR 051

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RICHARD HICKOX

CHANDOS, CHAN 0750

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MORTEN SCHULDT-JENSEN

NAXOS, 8.570 381

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