Après avoir piégé pratiquement la planète au complet, de Bill Gates jusqu'à Nicolas Sarkozy en passant par Tiger Woods, Britney Spears et Paul McCartney, les Justiciers masqués déposent le téléphone, mais pas leur micro, à CKOI-FM. Depuis la rentrée, Sébastien Trudel et Marc-Antoine Audette présentent Les cerveaux de l'info, une nouvelle émission d'humour et d'actualité. Portrait de deux critiques des médias et de deux cracks de la politique.

Le premier, le plus vieux et le plus petit, Marc-Antoine Audette, ressemble à un agent immobilier. Le deuxième, Sébastien Trudel, avec ses six pieds et des poussières et sa silhouette d'asperge moulée dans un jean noir, donne plutôt dans le bassiste néo-rétro punk.

Ils se sont rencontrés au distingué collège Jean-de-Brébeuf au début des années 90. À l'époque, Marc-Antoine, fils de traducteur, était un nerd à lunettes. Sébastien, lui, était le fils du commentateur sportif Pierre Trudel. Ils vénéraient tous les deux les Cyniques, pères de l'humour québécois. Mais ce qu'ils aimaient tout autant, c'était la politique et les cours d'histoire d'André Champagne, leur prof préféré. «On était les deux seuls souverainistes de la classe, raconte Sébastien. On avait un fun noir à débattre de souveraineté avec tous les fils d'hommes d'affaires, qui arrivaient en Porsche et qui, évidemment, étaient tous fédéralistes à l'os.»

À l'époque, Marc-Antoine avait déjà sa carte du Parti québécois. Il l'a encore, bien qu'il ne l'ait pas renouvelée récemment. André Boisclair doit y être pour quelque chose. Pas Boisclair, chef du Parti québécois. Plutôt Boisclair, vedette d'une parodie de Brokeback Mountain mettant en scène Bush et Harper se faisant des «mamours» sous la tente. Dans le feu de la controverse, Boisclair a déclaré qu'il avait été piégé par les Justiciers masqués qui ne l'avaient pas prévenu du contenu du sketch. Ces derniers ont prétendu, au contraire, que le chef du PQ savait parfaitement ce qu'il faisait en tournant le sketch et qu'il en était ravi. Lorsque Boisclair a modifié le refrain pour calmer l'opinion publique - et Denise Bombardier qui réclamait sa démission -, les Justiciers se sont sentis trahis.

Mais ça, c'est une autre histoire.

De CISM à CKOI

Revenons à la politique et à cette passion née à Brébeuf et qui aurait pu s'éteindre à l'université. Le contraire s'est produit. À l'Université de Montréal, Marc-Antoine a étudié en sciences politiques et Sébastien, en communications et politique. C'est aussi à CISM, la radio de l'université, qu'ils ont commencé à animer une émission d'affaires publiques où ils recevaient régulièrement des politiciens.

«C'était une émission très sérieuse, sauf pendant le quart d'heure où notre patron partait se chercher un sandwich, raconte Marc-Antoine. On se mettait alors à faire des blagues et des parodies. C'est à CISM qu'on a fait notre première insolence au téléphone avec Pierre Bourque.»

Quand le maire s'est rendu compte du subterfuge, il a exigé sur-le-champ la démission des deux farceurs. Pas énervés pour un sou, les deux se sont enfermés à double tour dans le studio pendant que le maire hurlait en ondes et que leur patron frappait contre la vitre pour qu'ils mettent fin à la plaisanterie. Les Justiciers masqués venaient de se mettre au monde.

Alors qu'à l'époque, la dépolitisation des jeunes avait commencé à faire les manchettes, Sébastien et Marc-Antoine faisaient déjà mentir les médias.

Ce long préambule pour expliquer pourquoi, l'année dernière, les Justiciers ont baissé leurs masques et proposé à CKOI un projet d'émission d'actualité politique ce qui, dans le contexte de la radio privée, est de l'ordre de l'hérésie sinon de l'anathème.

«C'est sûr que dès que tu prononces le mot politique dans une radio comme CKOI, ça fait un peu peur aux patrons, explique Marc-Antoine. Je les comprends. Leur public est habitué à des téléphones qui sonnent, des jokes de cul et deux gars qui font les caves. Changer une formule gagnante comme celle-là, c'est courir le risque de perdre du monde.»

Si, un an plus tard, CKOI et le vice-président de Corus, Mario Cecchini, ont finalement accepté leur projet, c'est sans doute parce que le pari était moins risqué que prévu. D'une part, avec le départ des Grandes Gueules, il y a un an, la concurrence du réseau Énergie n'est plus aussi féroce qu'avant. Et puis, comme les FM proposent tous sensiblement la même formule pour le retour à la maison, CKOI n'avait rien à perdre en proposant une formule différente.

«Nous, on est des fans du Daily Show de Jon Stewart, affirme Sébastien. On ne comprend pas pourquoi une quotidienne drôle et politique, ça n'existe pas au Québec. Non seulement le Daily Show marche très fort auprès des 18-24 ans, mais des sondages ont démontré que cette émission était souvent la première source d'information politique pour cette tranche d'âge. Si on réussissait ça avec notre émission, on serait très contents parce qu'on aime ça faire les caves, mais on aime encore mieux quand ça sert un propos.»

La politique du vide

Sur papier, ce que Les cerveaux de l'info proposent est intéressant et presque louable, surtout dans le contexte contraignant de la radio privée. Mais en pratique, après seulement une semaine de rodage, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. D'abord passé le barrage d'annonces tapageuses, de musiques tonitruantes et d'indicatifs de toutes sortes, l'émission offre moins de blagues politiques que de parodies des médias et tout particulièrement de LCN.

Les Cerveaux, épaulés par Richard. Z. Sirois, Julie Bou et François Maranda, prennent un malin plaisir à se foutre de la gueule de François Paradis, de Denis Lévesque et de quelques autres têtes d'affiche qui en font trop. Ils aiment tourner en dérision le sensationnalisme des médias et se moquer des 851 couvertures du magazine La Semaine avec Nathalie Simard. Farouchement anti-doc Mailloux, ils présentent régulièrement les propos les plus édifiants que le doc tient sur CHOI-FM, tout cela entrecoupé d'entrevues bidon, de faux reportages et de faux sondages réalisés avec des pauvres ménagères perdues dans la brume domestique.

Mais qu'ils soient drôles, crus, caves ou insignifiants, les Cerveaux ne sont, pour l'instant, pas plus politiques qu'il faut.

Pour sa défense, Sébastien Trudel affirme que l'émission est tributaire de l'actualité et qu'il faudra encore un mois pour qu'elle trouve sa forme définitive. «Dès que Harper aura déclenché les élections, on va devenir plus politiques. Cela dit, soyons clairs: on n'est pas Raymond Devos ni les Zapartistes. On reste malgré tout convaincus que la politique, ça intéresse le monde, même si, des fois, c'est la politique du vide.»

«Jean Charest est le meilleur exemple de la politique du vide, renchérit Marc-Antoine. Cet été, il nous a prouvé que, pour être un premier ministre populaire, t'as rien qu'à cuisiner deux ou trois saucisses avec Ricardo et le tour est joué.»

Les Cerveaux entendent bien recevoir des candidats politiques à leur émission, mais ils ne se font pas trop d'illusions. À part Denis Coderre, qui n'a pas peur du ridicule, peu de politiciens ont envie de s'aventurer dans une émission humoristique où ils ne contrôlent rien, surtout pas le rôle de tête de Turc qu'on risque de leur faire jouer. Aux dernières élections provinciales, les adéquistes auraient eu comme mot d'ordre de se tenir loin des Justiciers masqués. «Tout ça parce qu'on a demandé à Mario Dumont dans un scrum, c'était quoi, la marge de crédit du Québec. Boisclair l'avait planté avec cette question-là pendant le débat. Or un mois plus tard, il n'avait toujours pas la réponse.»

Aux dernières élections fédérales, les deux farceurs ont fait pire encore. Ils ont tenu un mariage gai dans les bureaux de circonscription du candidat conservateur de Repentigny. «Les bénévoles horrifiés sont sortis en courant. Le candidat a appelé la police, mais quand les policiers sont arrivés, ils riaient plus que d'autre chose», raconte Marc-Antoine.

Si le passé des Justiciers est garant du futur des Cerveaux, il ne nous reste plus qu'à souhaiter des élections au plus pressant. Qu'on rigole un peu.