Robert Coover est né en 1932 dans l'Iowa, mais c'est de La Baule, en France, qu'il a accepté de répondre à nos questions par courriel quant à son plus récent ouvrage, Noir, un objet romanesque des plus insolites, digne, cette fois, de la réputation qui lui a été faite au fil des ans, des phrases et des pages, sur le vieux continent comme sur le nouveau. Entre la rédaction du chapitre final du Cambridge History of the American Novel et d'autres projets d'écriture, l'auteur, lauréat du prix William Faulkner en 1966 pour The Origin of the Brunists, ne fut en rien avare de mots pour parler de son travail.

«Pour ma part, vous savez, la «métafiction» n'est rien qu'une manière de mettre en question le travail de la fiction, son mécanisme, son processus surtout. Le travail fictionnel n'est en fait qu'une manière d'entraîner le lecteur dans un méandre d'histoires, fausses, destructrices ; faites de mythes et de croyances. La fiction qui questionne le travail de la fiction (sans en évacuer le plaisir et l'amusement, bien sûr) se veut libératrice. Et puis, en ce qui concerne les habitudes de lecture, disons qu'elles suivent de près les jours dans leur évanouissement.»

Admiré par des écrivains aussi immenses et distincts que John Barth, Donald Barthelme ou John Hawkes (et l'admiration est réciproque), Robert Coover fut, reste et demeurera un vandale du roman, un grand iconoclaste, découvreur de sens.

«À mes débuts en tant qu'écrivain, j'étais beaucoup plus intéressé par les auteurs européens d'avant-garde ou les anciennes formes narratives (des mythes à la Genèse, des textes d'Ovide aux contes de fées, en passant par les Mille et une nuits et les romans de chevalerie) que par le roman traditionnel d'après-guerre, qui dominait chez moi et qui, il me semble, y domine encore. »

En ce sens, Noir, quelque part entre les B des belles années d'hier (40 et 50) et les labyrinthes gothiques du néo-expressionnisme, impose ses fantômes en des lieux décharnés ; ses figures et décors de carton détrempé, son intrigue malfamée, à la deuxième personne, toujours, comme si le roman, morcelé, était objet à faire, à assembler, du début à la fin, se donnant rien que pour naître sous les yeux du lecteur. Autant dire que, si l'histoire de ce Phil M. Noir – sorte de Bogart, mi-Chandler, mi-Hammett, mais Coover surtout – n'est qu'un polar d'une époque révolue, c'est ce qu'il y a de mieux.

«La plupart du temps, dans mes livres, les lieux sont ou deviennent des personnages en soi. Dans Ghost Town (1998), par exemple, les lieux figurent nécessairement parmi les personnages principaux ; puisque ce sont là des êtres en tant que tels, qui font que tout se perd, se fond, quelque part, en clichés, archétypes nécessaires au tissu du roman ; mais qui dressent à la fois ce fond imprévisible, de manière malicieuse, surgi innocemment.»

Noir, bien sûr, c'est le spectre trop grand des nuits mal entamées, c'est le sommeil trop court de ce qui fuit le vrai ; le sommeil d'une ville qui ne dort que d'un oeil, parmi tous ses fantômes : «La ville comme un mal de ventre. Le cauchemar urbain comme l'expression de la vie effroyable et vile des organes internes. Les sinistres gargouillis des entrailles.» Le roman se veut d'emblée la seule forme du précaire, celle-là même d'une tuée, son cadavre disparu – celui de cette veuve au voile sombre et aux jambes d'une beauté aussi envoûtante et sinistre que le récit. Débarquée plus tôt dans les quartiers obscurs du détective privé, Noir, pour ouvrir l'enquête sur l'histoire inquiétante de son mort de mari – riche, bien sûr, mais dont le suicide a plus des airs d'assassinat. Et tous ces cadavres, dont Noir, seul, retracera l'histoire, de la morgue à la rue, de la grisaille au grand noir, pourraient bien être les vôtres – comme vous pourriez être le détective aussi. Mais alors là, c'est à vous seul d'y voir...

L'Amérique, ce miroir trop noir pour être vrai

Le roman ne peut donc qu'attirer l'attention. Publié en mai, de manière exclusive, en traduction française, aux éditions du Seuil (alors que la version originale anglaise ne doit paraître que dans six mois, à l'automne, en terre américaine), cet ouvrage de l'ordinaire et de l'extraordinaire, sans lieu et sans nom, somme de toutes les couleurs, nous provient d'une idée, lancée, comme ça, par simple amusement : « J'étais à Paris, lors d'une rencontre de l'ODELA (Observatoire de littérature américaine), et, ayant tout juste terminé le manuscrit du roman, autour d'une bonne table et de bons vins, en présence de mon traducteur (Bernard Hoepffner) et de mon agent, nous avons élaboré ce plan : reconnaître l'appréciation française, toute précoce, du film de série B américain, et publier le roman, d'abord, là où cette appréciation s'exprima en premier.»

Son nouveau projet d'écriture, quant à lui, est un projet de longue haleine. «Je termine la suite de mon premier roman, The Origin of the Brunists (l'histoire de Giovanni Bruno, devenu le messie alité et involontaire d'une secte annonçant la fin du monde), un livre sur lequel je travaille, par intervalles, depuis près de 40 ans, mais d'une manière plus sérieuse depuis les événements du 11 septembre 2001.»

Vous travaillez donc avec le cliché, M. Coover?

«Je le fais, parfois, mais pour mieux le détruire.»

Robert Coover

Noir

Seuil, collection «Fictions & Cie»

208 pages

34,95 $