Chaud vendredi soir de juillet à Rougemont. Quelques centaines de spectateurs en robes d'été et bermudas - surtout des couples de plus de 50 ans - remplissent à moitié la salle du théâtre de Jean-Bernard Hébert.

La mise en scène de Ladies and Gentlemen signée Jean-Guy Legault est truffée d'effets comiques. Antoine Vézina, Marie-France Lambert et autres Valérie Blais défendent avec vigueur des personnages caricaturaux. Malgré ces pointes d'audace et d'inventivité, le courant passe à moitié, et des clous se font cogner sur la tête. Impossible, la rencontre entre les artistes du théâtre «en saison « et le public du théâtre d'été?

Jean-Bernard Hébert, directeur du théâtre de Rougemont, m'invite à m'asseoir à la table de patio installée sur la grande terrasse du théâtre joliment ornée de jardinières. Il m'offre un Perrier citron, avant de résumer ses 23 dernières années consacrées au théâtre privé.

C'est en prenant la barre du Théâtre de Terrebonne en 1989, que Hébert a amorcé une mission qui l'habite encore : réformer le théâtre d'été. «À cette époque, il n'existait qu'un style de pièce, c'est-à-dire l'éternel triangle de la chambre à coucher, autour de l'amant, le mari, la maîtresse, etc.», évoque l'affable homme de théâtre.

Harold et Maude, Douze hommes en colère, Huit femmes, Les belles-soeurs,Visite à Monsieur Green... Sous la houlette de Jean-Bernard Hébert (qui dirige aussi le Théâtre de Kingsey Falls), les amants dans le placard ont été remisés pour de bon. En dépit de ses succès et de tournées fructueuses, Rougemont peine à trouver le créneau qui lui assurera la fidélité de son public.

«Dans les années 90, j'étais certain d'attirer 10 000 personnes, peu importe la pièce que je programmais. Mais cette fidélité s'est étiolée. Maintenant, on attend les critiques, le bouche-à-oreille. Et on veut le top dans tout. On est prêt à payer le gros prix pour aller voir Céline Dion au Centre Bell, ou encore Les Misérables ou Sweet Charity. Sans parler de la concurrence des festivals, qui se sont multipliés.»

«On s'est-tu trompées de salle?»

«La pièce (Ladies and Gentlemen) est intéressante, parce qu'elle brasse le système de conventions du théâtre d'été», estime le metteur en scène Jean-Guy Legault, rencontré plus tôt dans la journée, dans un café du Plateau Mont-Royal. Pas facile, reconnaît-il, d'amener «ailleurs» le public du théâtre d'été (70% ne met jamais les pieds au théâtre en saison.)

«L'année dernière, avec Huit femmes, on bénéficiait involontairement d'une machine précommerciale, parce que les gens se rappelaient du film. Mais avec Ladies and Gentlemen, on sent que les gens ne se retrouvent plus dans leur créneau habituel. La pièce commence sur un extrait de Shakespeare. Le premier soir, deux dames dans la première rangée ont dit tout haut «On s'est tu trompées de salle?»

Legault reconnaît que Ladies and Gentlemen, qui raconte les tribulations de deux acteurs qui se déguisent en gonzesses pour chiper un héritage et s'enfuir vers Hollywood, n'est pas un temps fort de l'oeuvre de Ken Ludwig. Sa première idée, en fait, était de monter Some Girls de Neil Labute. Le hic, c'est que le comédien connu convoité pour le rôle n'était pas disponible.

C'est que la chasse aux vedettes est un réflexe encore très profondément ancré, chez le spectateur du théâtre d'été. «Tout le monde cherche à magasiner sa vedette», observe Jean-Guy Legault. «La question que nous pose les diffuseurs n'est pas «c'est quoi» « mais bien «qui joue dedans?» Or, il est devenu plus difficile de convaincre la vingtaine de comédiens qui tournent beaucoup (les Benoît Brière, Serge Postigo et Marina Orsini de ce monde.) Pour eux, l'été signifie la maison, le barbecue, le voyage», ajoute Jean-Bernard Hébert.

De la création québécoise au Théâtre de Rougemont? Jean-Bernard Hébert aimerait bien en faire, mais s'il reconnaît que pour un théâtre privé, les risques sont grands de sortir des sentiers battus. Parce que sans gros noms, ni formule éprouvée, le public risque de déserter les salles d'été. À ce titre, Jean-Guy Legault évoque le passage de Cheech à Sainte-Thérèse, qui avait attiré un famélique public de 50 personnes dans une salle de 600 sièges. «Le théâtre de création est difficile à vendre, parce qu'il est associé à des acteurs peu connus.»

Idéalement, avance Legault, il faudrait aspirer à un contexte où théâtre en saison et théâtre d'été ne seraient plus deux sociétés distinctes. «Faudrait que les deux crowds se croisent. Y'a des spectateurs de théâtre en saison qui snobent le théâtre d'été. C'est dommage parce qu'il y en a du bon!»

Ladies and Gentlemen, de Ken Ludwig, dans une mise en scène de Jean-Guy Legault, jusqu'au 30 août au Théâtre de Rougemont.