Suffit d'écouter le premier album de Melody Gardot, Worrisome Heart, pour constater que la jeune femme de Philadelphie a du talent. Mais on n'a pas idée à quel point elle a tout ce qu'il faut pour devenir une star tant qu'on ne l'a pas vue sur scène.

Lundi au TNM, où elle chantera encore mercredi et jeudi, elle habitait les lieux comme peu d'artistes savent le faire à 23 ans, et ce même si elle doit se déplacer à l'aide d'une canne à la suite d'un accident qui a failli lui coûter la vie et qui a en quelque sorte initié sa carrière musicale.

Une canne, d'ailleurs, dont elle a rigolé quand, au moment de s'asseoir au piano pour interpréter sa superbe composition Love Me Like a River Does, ladite canne est tombée par terre. «Une surprise pour moi», a-t-elle dit dans un français charmant - elle a vraiment tout les talents - avant d'ajouter, coquine: «J'ai besoin d'un homme qui tienne ma canne; si ça vous intéresse, venez me voir après le concert, je vous donnerai des biscuits... pas mes biscuits, évidemment!»

Au tout début du spectacle, Melody Gardot s'est amenée seule et a établi le contact en nous chantant a cappella un spiritual, No More My Love, en claquant des doigts.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, cette parfaite inconnue faisait claquer des doigts et chanter une bonne partie du public du TNM. Quand ses trois musiciens sont venus la rejoindre pour Sweet Memory, une autre pièce de son unique album, le travail de séduction était déjà pas mal avancé.

Ses trois complices - trompette, contrebasse et batterie - ont magnifiquement contribué à l'ambiance feutrée propice aux chansons jazz et blues de Melody Gardot, ambiance à laquelle contribuait l'éclairage tamisé. Un concert intime, certes, mais en même temps plein de sourires et de fou rire, de clins d'oeil, dont un à sa grand-mère, et de surprises musicales.

Comme cette version de Ain't No Sunshine qu'elle a chantée tôt dans la soirée, et encore davantage une Somewhere Over The Rainbow complètement réinventée qu'elle nous a servie à la guitare sur un rythme de bossa. Je pense aussi au dialogue ludique entre le batteur Chuck Staab et le contrebassiste Ken Pendergast puis celui, tout aussi jouissif entre la chanteuse et le trompettiste Patrick Hughes pendant la chanson Goodnite.

Tôt en deuxième partie de spectacle, Melody Gardot nous a présentés ses musiciens, dont le trompettiste Staab qu'elle surnomme Chet, et elle nous a confiés à leurs bons soins pendant qu'ils jouaient justement My Funny Valentine à la façon de Chet Baker. Quand elle est revenue, c'était pour chanter les derniers mots de cette superbe chanson de Rodgers et Hart.

Que si jeune, et avec si peu d'expérience - il n'y a même pas cinq ans qu'elle joue de la guitare et compose ses propres chansons - Melody Gardot puisse être aussi à l'aise sur une scène, dans un registre musical qui exige une parfaite maîtrise de son art, dépasse l'entendement. On se se surprend à croire que cette jeune femme peut tout se permettre, y compris jouer la vamp avec juste ce qu'il faut d'humour quand elle rejette ses longues boucles blondes vers l'arrière tout en s'accompagnant au piano pendant Worrisome Heart.

Le Festival de jazz au eu la bonne idée de lui offrir le TNM pour sa première visite à Montréal. Courez-y mercredi ou jeudi et vous pourrez dire un jour à vos amis que vous étiez parmi les chanceux qui ont vu Melody Gardot dans l'intimité d'un bijou de petit théâtre.

MELODY GARDOT, au TNM, mercredi et jeudi, 20h.