Sept programmes culturels totalisant quelque 23 millions de dollars en subventions ont été abolis en quelques jours par le gouvernement conservateur. Devant le tollé provoqué par ces coupes, la ministre du Patrimoine canadien Josée Verner est restée muette plusieurs jours, ce qui a soulevé l'ire des milieux culturels. La ministre s'est entretenue hier avec notre chroniqueur.

Q : Pourquoi avez-vous attendu si longtemps avant de réagir à la nouvelle des coupes? On vous a accusé de vous complaire dans le mutisme...

R : Tous les groupes touchés ont été contactés vendredi dernier. Ils ne l'ont pas été un par un chaque jour. C'est l'option qui a été choisie, par politesse et par égard aux gens concernés par la décision. Il a été convenu que s'ils avaient des questions plus techniques, elles seraient réglées plus tard. Mais les choses ont été montées en épingle et j'ai tenu à prendre la parole.

Q : Certains parmi ceux qui ont reçu la nouvelle vendredi se sont plaints de ne pas avoir été informés des raisons précises qui ont poussé le gouvernement à couper leurs subventions...

R : J'ai été surprise de lire ça. Les raisons devaient leur être communiquées. Il faut replacer cette décision dans son contexte historique. Dans le cadre du dernier budget, nous avons décidé d'évaluer le rendement des investissements dans différents programmes. Pas d'un groupe ou d'un institut en particulier. Nous avons voulu évaluer le véritable impact des sommes investies. Et nous avons conclu que dans le cas de programmes comme le Fonds canadien du film et de la vidéo indépendants, les coûts administratifs étaient trop importants. Dans le cas d'autres programmes, comme celui dont bénéficiait l'INIS (l'Institut national de l'image et du son), il a été déterminé que l'investissement gouvernemental donnait un rendement plus ou moins intéressant. Mais on ne laisse pas tomber l'INIS. Il a moyen d'obtenir du financement par d'autres programmes existants.

Q : Pour l'INIS en particulier, les coupes (900 000 $) comptent pour près du quart du budget total. Les programmes abolis seront-ils remplacés?

R : Ce n'étaient pas des investissements qui étaient intéressants. En ce qui concerne Routes commerciales (9 millions), on envisage d'autres options. Nous voulons être en mesure d'aider véritablement à un plus grand rayonnement à l'étranger. Avec des moyens qui sont conformes aux nouvelles réalités. Avec le ministère des Affaires étrangères, qui a abandonné le programme PromArt (4,7 millions), nous voulons évaluer s'il y a des possibilités de complémentarité dans une nouvelle forme d'aide.

Q : On s'est évidemment demandé, en apprenant l'abolition de Routes commerciales, si la décision avait aussi été motivée par des questions d'image du Canada à l'étranger. Des porte-parole du gouvernement, autant au cabinet de M. Harper qu'au ministère des Affaires étrangères, ont indiqué que PromArt avait été aboli parce qu'on voulait revoir la façon dont l'argent est distribué afin qu'il n'y ait pas d'artistes «marginaux», «radicaux» ou «offensants» qui en profitent. Je pense au groupe Holy Fuck...

R : Ils font de la bonne musique. Je l'ai écoutée cette semaine...

Q : Y a-t-il aussi dans l'abandon de Routes commerciales une volonté de revoir l'image du Canada projetée par certains artistes à l'étranger?

R : Moi, je suis Québécoise. Je ne défendrai pas ce point de vue-là. Ce discours-là ne résonne pas chez moi. Par ailleurs, les conversations que j'ai eues avec le ministre Emerson n'ont jamais porté là-dessus. Je ne défendrai pas les autres, mais je vais vous dire que mon collègue ne m'a jamais tenu un pareil discours.

Q : Il a quand même été confirmé par plus d'un porte-parole que dans l'abolition de PromArt, ce facteur a été considéré. Vous me dites que vous ne défendez pas cette position-là. Est-ce à dire que vous n'êtes pas d'accord avec votre gouvernement?

R : Je n'ai jamais entendu ça. Je serai en porte-à-faux face à d'autres individus. Parce que je crois qu'il est surtout question d'individus.

Q : À votre avis, c'était une erreur d'ouvrir cette brèche-là, d'en faire une question idéologique?

R : Je pense que les questions morales ne devraient jamais guider un gouvernement. Jamais. C'est clair?

Q : Mais vous savez que des porte-parole du gouvernement ont tenu ce discours...

R : Heureusement que ce ne sont pas mes porte-parole. Surtout pour eux...

Q : Les milieux culturels ont l'impression que vous ne défendez pas leurs intérêts et que la culture ne compte pas pour le gouvernement conservateur. Le fait que vous n'ayez pas réagi plus rapidement à la nouvelle des coupes a nourri cette impression que vous ne défendez pas adéquatement leurs intérêts.

R : Vous savez, quand on est Québécoise et qu'on fait partie d'une nation, on est consciente que la culture est un outil indispensable pour faire rayonner cette nation. Au Québec, nous sommes imbibés de culture. C'est ce qui a permis au Québec de rester fort. Je serai toujours une ardente défenderesse de notre culture. Quand j'ai été nommée ministre du Patrimoine en août dernier, j'ai rencontré énormément de groupes. L'engagement du gouvernement envers les arts et la culture est indéniable. Rappelez-vous que nous avons investi 30 millions dans les festivals. (...)

Q : À voir tous ces programmes abolis depuis une semaine, les milieux culturels ont néanmoins l'impression que devant le Conseil des ministres, vous n'avez pas protégé les acquis en culture, que vous avez en quelque sorte perdu la bataille...

R : Évidemment, les conversations du cabinet restent confidentielles. Mais je peux vous assurer que je serai toujours la première à défendre la culture. Je suis entêtée, pour ne pas dire têtue...