En longeant les coulisses de l'Espace Go, pour me rendre dans les loges où j'ai rendez-vous avec André Brassard, j'aperçois un amoncellement bleu. Dans la production d'Oh les beaux jours , Andrée Lachapelle défendra une Winnie survivante d'une catastrophe nucléaire. Une rencontre très attendue entre une splendide force de la nature et un survivant qui n'a pas dit son dernier mot.

André Brassard m'accueille dans sa loge, en se disant désolé d'être obligé de rester assis dans son fauteuil roulant. Il est tout sourire, en ce matin de la fin du mois d'août où plusieurs de ses confrères manifestent contre les coupes de Harper en matière de culture.

Avant de parler de Beckett, de théâtre, de son retour à la mise en scène, nous abordons le sujet de son état de santé. Il m'assure que ça va, même s'il est ces jours-ci plus fatigué que d'habitude, en raison des efforts que lui demande Oh les beaux jours . «Je me branche sur la batterie d'Andrée, pour recharger la mienne.» Il relativise aussi son sort, me rappelant qu'il y a des gens qui n'ont pas de jambes, qui sont aveugles. «C'est pire que moi, j'imagine.»

Oh les beaux jours est la première mise en scène depuis quatre ans - la dernière fois, c'était Impératif présent au Quat'Sous - pour l'homme de théâtre dont les capacités physiques ont été diminuées par un accident cardiovasculaire. «Je serai toujours obligé de traîner une partie de mon corps. Pendant ce temps, il y a notre autre madame, pognée dans le trou»

La madame en question, c'est évidemment Winnie d'Oh les beaux jours . Un texte que Brassard décrit comme un «hymne à la vie». «C'est une pièce sur la survie, sur l'impossibilité de la mort. C'est beaucoup ça, dont parle Beckett: du fait que l'on est toujours au bord de la mort, dès qu'on vient au monde. Il nous dit que pour mourir, il faut être détaché de tous les liens qui nous rattachent.»

Dans la merde jusqu'au cou

En novembre 2007, André Brassard a amorcé le travail de défrichage d'Oh les beaux jours avec Andrée Lachapelle. La belle actrice de 76 ans, indique le metteur en scène, a composé «une Winnie très joyeuse, très inconsciente, qui ne s'attarde pas dans ses souffrances et qui combat». «C'est un personnage très vivant, qui dit que ce n'est pas parce qu'on va mourir qu'on est supposé être déjà mort. Il y a aussi la relation qu'elle a avec son mari, qui apparaît derrière elle et la tient en vie.»

L'amour que Brassard porte à l'oeuvre de Beckett remonte à ses débuts comme metteur en scène. «Déjà, en 1966, j'avais organisé un festival Beckett où on avait monté toutes ses pièces en six semaines. Puis, on a fait En attendant Godot au TNM, il y a une douzaine d'années, qui avait été pas mal bon.»

Il y a deux ans, il a croisé Andrée Lachapelle lors d'une soirée de première et l'a invitée à faire signe à l'Espace Go, si elle avait le goût de jouer Oh les beaux jours. «Je suis passé par deux années de dépression assez profonde. J'étais un peu tanné de ne pas bouger, de ne pas pouvoir sortir de ma chaise roulante. Je me suis dit que si je ne voulais pas mourir complètement, je devais faire mon métier qui est le théâtre, qui est ma vie.»

Lorsque je lui demande si ces années de dépression ont nourri sa création, Brassard se fait cassant. «Je n'ai pas du tout envie de chanter l'air que le grand malheur nous enrichit, nous transforme, nous rend meilleur. Ça nous fait chier, un point c'est tout. Beaucoup de gens qui traversent des épreuves en sortent grandis. Malheureusement, ce n'est pas mon cas. Je suis juste content d'avoir survécu, pour ne pas avoir envie de perdre mon temps à faire des niaiseries.»

Reste qu'il a encore bien des choses à dire, à revendiquer et à dénoncer, ce «monument» du théâtre québécois. «Je n'ai jamais douté que j'étais fait pour la mise en scène. Je suis allé souvent au théâtre cette année, et j'ai compris qu'on ne m'avait pas oublié.»

S'il reste à l'affût de ce qui se fait sur les scènes de la ville, il trouve «insignifiantes» la plupart des productions qu'il voit. «J'ai l'impression que le théâtre ressemble à la société dans laquelle on vit, qui est en perte de sens. C'est un peu ça, aussi qui m'a poussé à revenir.»

Toujours en lien avec la relève, en siégeant notamment au comité de lecture du théâtre d'Aujourd'hui, André Brassard reconnaît que le métier est devenu difficile pour les jeunes. «C'est devenu une affaire de m'as-tu-vu. Ce qui est important, c'est la crisse de télévision», regrette-t-il.

Brassard reste au théâtre, pour aider les autres et lui-même à vivre. Les beaux jours sont de retour.

Oh les beaux jours , de Samuel Beckett, mise en scène d'André Brassard, du 9 septembre au 11 octobre à l'Espace Go.