Lundi, Patrice Roy va célébrer la fête du Travail... en travaillant. La carrière du journaliste prendra, ce jour-là, un tournant, après de longs séjours sur les collines parlementaires de Québec et d'Ottawa, et tout juste un an après un voyage en Afghanistan qui a changé sa vie.

Tristes célébrations, il y a huit jours: le 22 août 2007, un véhicule blindé dans lequel se trouvaient Patrice Roy et le caméraman Charles Dubois roulait sur une mine, 50 kilomètres à l'ouest de Kandahar. Dans l'explosion, deux soldats et un interprète afghan ont perdu la vie. Le journaliste et le caméraman ont été blessés. Et s'ils avaient été assis ailleurs dans le blindé...

Si Patrice Roy ne peut éviter les questions des journalistes 12 mois plus tard, il ne s'épanche pas non plus sur le sujet, par pudeur et respect pour son collègue, qui a perdu une jambe dans l'explosion. «Je n'aime pas parler de ce qui m'est arrivé en Afghanistan; ça fait de l'ombre à ce que Charles a vécu, confie-t-il. Il a perdu une jambe! Lui, il le sent, il le voit encore ce qui s'est passé.»

On imagine tout de même chez le journaliste des frissons, un bouleversement intérieur, à chaque décès de soldats rapporté depuis: les dix Français, les trois Canadiens, ces dernières semaines... «Je reçois ces nouvelles différemment maintenant, confirme-t-il. Surtout lorsqu'elles surviennent dans la région où je me trouvais. Je ne me lance pas sur les murs, mais c'est quelque chose qui va rester.»

Il y a un an, Patrice Roy a vraiment compris la fragilité de la vie. Mais étonnamment, l'homme de 45 ans n'a pas l'intention d'abandonner les reportages en zone dangereuse pour toujours. «De tels événements nous rendent plus forts, pas plus craintifs, estime-t-il. Ils changent notre rapport à la mort, au temps, pas notre métier. Mais imposer ces voyages à ma famille, à mes enfants, c'est de la folie.»

Une consolation: Charles Dubois, que Patrice Roy revoit et de qui il s'est forcément rapproché depuis un an, est retourné travailler à Ottawa, la semaine dernière. Comme cadre.

Besoin de changement

Un an plus tard, le journaliste a aussi un défi qui l'attend, à Montréal. Cet automne, il travaillera dans la tour radio-canadienne du boulevard René-Lévesque, comme lecteur de nouvelles et animateur de la nouvelle quotidienne 24 heures en 60 minutes à RDI. Une façon calculée de recommencer sa vie professionnelle à neuf, pour oublier plus facilement? Non, assure Patrice Roy. Avant l'Afghanistan, le journaliste pensait déjà à délaisser la couverture politique à Ottawa. «J'ai beaucoup aimé ça. J'aimais me battre pour dénicher des histoires. Mais je me suis tanné de la bulle parlementaire, de chaque petite déclaration de ministre qui peut prendre d'énormes proportions. J'ai un jour eu envie d'être stimulé par autre chose.»

Tel qu'annoncé il y a quelques mois, il sera à la barre du Téléjournal de 18h, à compter de lundi. Il occupera le siège laissé vacant par Pascale Nadeau, devenue lectrice de nouvelles le week-end en fin de soirée. «On m'a offert quelque chose et j'ai dit oui, se défend Patrice Roy. Le reste appartient au patron. Cela dit, jamais je ne vais penser que cette nouvelle chaise m'appartient. Des gens dévoués à la même cause pendant 35 ans, comme Bernard Derome, il n'y en aura plus. Si ça ne fonctionne pas, j'accepterai de m'en aller.»

S'adresser directement aux téléspectateurs est un mandat grisant pour Patrice Roy qui a goûté à l'animation cet été, aux aurores, à RDI. «Je ne vais pas réinventer la roue au 18h. La grande différence, c'est que je vais aller sur le terrain, faire des reportages ou entrevues trois fois par semaine. Je suis d'abord un journaliste de terrain, je ne veux pas perdre ça. Ça me va mieux. C'est cliché, mais je veux ressentir Montréal. Les téléspectateurs aussi doivent ressentir Montréal. Et ça ne veut pas dire de faire des faits divers, mais plutôt de donner du temps aux grosses histoires d'ici.»

«Animer est un énorme défi, ajoute Roy. C'est sûr qu'il y a de meilleurs animateurs que moi. Des gens qui ont une plus belle voix et une meilleure présence à l'écran. Mais je suis sincère. Quand je m'énervais à Ottawa, ce n'était pas un show.»

Le reporter

Patrice Roy n'est pas du genre nostalgique. Cela dit, laisser Ottawa à l'aube d'une campagne électorale le tracasse, lui qui cumule de nombreux reportages, notamment sur la star d'un soir en motomarine Stockwell Day, chef de la défunte Alliance canadienne, sur le scandale des commandites et sur les sombres jours de Paul Martin à la tête du Parti libéral. «Stockwell Day, c'est devenu une histoire hyper-amusante, se rappelle Roy. Quant au scandale des commandites, c'était comme un téléroman que des gens de toutes les couches de la société ont suivi pendant deux ans et demi. Ça ne se peut pas que les téléspectateurs trouvent ça plate, la politique!»

Parole d'un bachelier en science politique qui avait d'abord pensé faire son droit, mais qui a été interpellé par la radio, par un jour d'études universitaires! Avant d'être chef de bureau à Ottawa, Patrice Roy a louvoyé entre les émissions d'affaires publiques et d'informations, tantôt comme reporter, tantôt comme recherchiste et rédacteur. Il doit son entrée à Radio-Canada, en 1990 (comme reporter de l'émission d'affaires publiques Enjeux) à l'oeil averti d'un producteur d'une émission d'informations internationales pour laquelle il travaillait comme recherchiste à Télé-Québec (autrefois Radio-Québec). Il imaginait déjà Patrice Roy, fils de Michel Roy (ancien rédacteur en chef du Devoir et de La Presse) en reporter. "J'ai fait une audition ridicule à la caméra, mais il m'a quand même laissé une chance. Plus tard, je lui ai proposé un projet de documentaire sur la religion en U.R.S.S."

Sujet attrayant, car après la diffusion du documentaire en question à Radio-Québec, Radio-Canada s'est montrée intéressée à embaucher le journaliste. Après trois ans à l'emploi d'Enjeux, un patron de Radio-Canada lui a proposé de devenir reporter aux bulletins d'informations. "Moi qui aime prendre mon temps, ça ne me tentait pas."

Mais Patrice Roy a quand même fait le saut. Plus d'une fois dans sa carrière, le journaliste s'est retrouvé là où il ne s'imaginait pas. Souvent pour le mieux. Encore aujourd'hui, il n'aurait jamais cru piloter un bulletin d'informations de début de soirée, un jour. Comme il n'aurait jamais pensé que la vie allait prendre un autre sens, il y a un an, loin de chez lui, dans la poussière de Kandahar.