À la fin de la grande manif du milieu culturel contre les coupes du gouvernement Harper, cette semaine, une question a fusé dans l'air. Le public québécois suivra-t-il les artistes? Épousera-t-il leur cause? Fera-t-il front commun avec eux au point de refuser de voter pour les conservateurs de Stephen Harper aux prochaines élections? C'est notre plus grand défi, m'a répondu Martin Faucher, président du Conseil du théâtre québécois.

C'est aussi une question d'au moins 45 millions à laquelle des gens comme Faucher avaient déjà commencé à réfléchir avant la manif, conscients que les beaux discours, aussi inspirants soient-ils, restent souvent sans lendemain s'ils ne sont pas prolongés par des gestes et des mesures concrètes.

L'idée de rejoindre le public dans les théâtres et les lieux de diffusion qu'il fréquente fait son chemin depuis un certain temps dans le milieu des arts. Selon un scénario encore en gestation, un membre de la direction d'un théâtre ou alors l'artiste d'un spectacle, viendront avant le début de chaque représentation lire un court texte qui fera valoir l'importance du financement public en arts et dénoncera les coupes absurdes du gouvernement Harper. Au TNM, la consigne a déjà été transmise et on l'observera à l'occasion du spectacle Nebbia du Cirque Éloize. Dans les autres théâtres, on discute encore de la marche à suivre.

L'avantage de cette mesure, c'est qu'elle rafraîchira chaque soir la mémoire du public. L'inconvénient, c'est qu'elle prêchera des convertis. Quiconque va voir une pièce au TNM ou une chorégraphie à l'Agora de la danse est gagné d'avance à la culture et au financement des arts par le système public, non?

Pas si sûr, répond Martin Faucher. Selon le metteur en scène, le public qui fréquente les lieux de culture ne sait pas à quel point les coupes vont fragiliser les arts au Québec. Un rappel tous les soirs lui semble donc aussi utile que nécessaire.

Reste que peu importe le message, la question demeure entière face aux gens qui ne vont pas au théâtre, au concert et au spectacle. Comment les rejoindre et les convaincre que la grande mobilisation qui a eu lieu cette semaine n'était pas un psychodrame montréalais qui ne les concernait pas.

Beaucoup de ces gens, surtout s'ils vivent en région, ont de la difficulté à compatir avec une bande d'artistes qui, dans leur esprit, sont des privilégiés qui non seulement n'ont pas besoin de travailler pour vivre, mais voyagent partout dans le monde avec l'argent de leurs impôts. Comment convaincre ces gens-là que les artistes ne sont pas des privilégiés, mais les victimes de politiques rétrogrades imposées par un cow-boy inculte, réactionnaire et sans coeur?

Au MAL (Mouvement pour les arts et les lettres), on espère contrer l'indifférence, sinon l'hostilité, des régions en organisant une grande manifestation à la place Royale à Québec le 3 septembre. Tous les artistes et travailleurs culturels du coin seront invités à exprimer leur opposition aux coupes Harper. Mais là encore, après l'été fabuleux que vient de vivre Québec, en grande partie grâce aux millions d'Ottawa, on voit mal comment le public pourrait en vouloir à un gouvernement qui le gave de spectacles gratuits depuis deux mois. Robert Lepage aurait pu aider à changer les perceptions. L'homme de théâtre est en effet le parfait exemple d'un artiste qui a pu grandir, évoluer et rayonner grâce à la générosité des gouvernements. Si son Moulin à images a connu un aussi grand succès, c'est d'abord parce que cette création unique est l'aboutissement d'années de travail et de recherche de la part d'un créateur doué qui, grâce aux subventions, est devenu un virtuose. Mais aux dernières nouvelles, Lepage est en Angleterre. Son absence nous renvoie à la case départ avec toujours la même question: comment convaincre le public que les coupes en culture le concernent. Si jamais quelqu'un a la réponse, qu'il la fasse savoir au plus tôt, sinon les conservateurs vont battre les artistes 1 à 0. Et cela avant même le déclenchement des élections.