Il suffit de quelques bouts de ficelle et de beaucoup de ruban adhésif pour que la soliste Àngels Margarit et le duo Societat Doctor Alonso, qui inaugurent cette semaine la série Destinations: Danse de l'Agora de la danse, façonnent des univers déroutants.

Consacrée cette année à la Catalogne, la série présente d'abord Solo Por Placer d'Àngels Margarit, une pionnière de la danse contemporaine barcelonaise. Disons d'emblée que la dame, seule en piste, est dotée d'un magnétisme certain. Calme, posée, elle s'affaire, pendant une heure, à façonner de petits espaces, le plus souvent au sol, à l'aide de corde, de ruban adhésif et de menus objets - des espaces «préparés», dirait John Cage - qu'elle va ensuite habiter.

Margarit explore ces lieux, un à un. Elle y bouge lentement, avec délice. Chaque espace appelle une qualité de geste qui lui est propre: féline, désarticulée, ondoyante ou même survoltée. La regarder passer ainsi d'un état à une autre, si concentrée, toujours précise, rend l'expérience quasi tactile pour qui l'observe. Les objets, l'énergie que dégage Margarit, les éclairages tout comme la musique de Manuel Martínez Del Fresno rendent l'espace, mais aussi le temps, élastiques. Solo Por Placer a quelque chose de rassurant, de zen et de séduisant. On pénètre dans ces lieux changeants avec elle, par l'esprit, et par le corps aussi, tant elle les rend sensuels et invitants.

Couple d'éclopés

Dans Volumen II, lorsque Sofia Asencio sort son rouleau de ruban adhésif, ce n'est pas pour faire des marques au sol comme son aînée Àngels Margarit, mais plutôt pour se bander les membres. Dans Volumen II, elle «perd» progressivement un bras, l'autre bras, une jambe, puis l'autre. Son complice, le musicien Tomás Aragay, quant à lui, «perd» une partie de sa vue et de sa parole. Et c'est ainsi empêtré que ce curieux couple d'éclopés va donner le plus étrange des concerts.

Tout comme Margarit, dont elle a été l'élève, Asencio prend son temps pour installer une atmosphère toute particulière. Ici, c'est un curieux mélange de nonchalance et d'anticipation. La demoiselle, vêtue en skater, commence par se mouvoir avec une langueur qui frôle la catatonie. Mais lorsqu'Aragay bande un premier bras d'Asencio, le spectateur comprend tout à coup où on va le mener: le contraste entre l'état de langueur initial de la danseuse et les efforts qu'elle devra déployer pour se mouvoir fait monter la tension. La démonstration qui s'ensuit sur notre peur du «politiquement incorrect» et sur la virtuosité d'Asencio est d'une absurdité jouissive, notamment parce que le spectacle mise avec justesse sur un certain nombre de gags visuels.

L'idée d'entraver le mouvement n'est certes pas nouvelle en danse, mais c'est amusant de voir le procédé ainsi poussé à l'extrême. Au risque d'ailleurs de provoquer la consternation même chez les spectateurs les plus hardis et de les faire décrocher avant la fin, car il faut malheureusement dire que Volumen II finit par devenir quelque peu fastidieux.

Solo Por Placer d'Àngels Margarit, au Studio de l'Agora de la danse, ce soir et demain à 19h30; Volumen II de la Societat Doctor Alonso, à l'Atelier de l'Agora de la danse, ce soir et demain à 21h.