Chacun a un petit coin de verdure qui lui est cher. Dans le cadre de la série Grandeur nature, le photographe Ivanoh Demers et le journaliste Alexandre Vigneault lèvent le voile sur les paysages intimes de sept artistes.

Le romancier et scénariste Guillaume Vigneault a grandi au bord du lac des Deux-Montagnes. La nature est pour lui comme une vieille connaissance avec laquelle il ne sent pas obligé de faire la conversation. Elle fut, avant l'écriture, son premier terrain de jeu.

Des gens deviennent gagas à la vue d'une plante verte qui pousse au milieu de centaines d'autres plantes vertes. Pas Guillaume Vigneault. Il aime les arbres - pour y grimper, entre autres -, il peut en distinguer plusieurs espèces, mais il avoue ne pas savoir identifier toutes ces hautes herbes que nos pieds foulent sans ménagement. Il les connaît pourtant depuis toujours: ce sous-bois se trouve sur la propriété où il a grandi.

Le regard que Guillaume Vigneault pose sur la nature est teinté par l'habitude, voire un certain détachement. Il n'est pas un maniaque de plein air et la Flore laurentienne ne trône sûrement pas sur sa table de chevet. Il ne fait pas non plus partie de ces urbains qui rêvent de s'installer à la campagne. Il correspond en fait au cliché inverse: c'est un gars de la campagne qui brûlait d'envie de vivre en ville. «Je suis devenu citadin par choix», dit le romancier et scénariste.

Sa relation avec la nature est, disons, plutôt platonique. «Elle n'a pas besoin de mon intervention, juge-t-il. Il ne me semble pas important d'écrire, d'inventer à la campagne. J'ai juste envie de m'y asseoir et de regarder les choses. C'est un lieu où je suis passif. La nature présente une espèce d'harmonie oppressante qui m'enlève toute volonté de faire quoi que ce soit... avec mon plein consentement.»

C'est d'ailleurs sans grand succès qu'il a tenté de combattre sa propre nature. «J'ai déjà passé un mois dans un chalet à La Minerve. Je m'étais dit que j'allais repartir de là avec la première version de mon nouveau roman. J'en suis revenu avec un kit de pêche et des achigans», raconte-t-il, avec une pointe d'autodérision. Il ne précise toutefois pas s'il a offert une de ses prises à son éditeur, à défaut d'un manuscrit.

L'instinct du chasseur

Enfant, Guillaume Vigneault avait moins l'instinct du pêcheur que celui du chasseur. Ses copains et lui, tout naturellement, s'adonnaient à un jeu vieux comme le monde: une proie, un chasseur et des pièges. Ils creusaient des trous, tendaient des cordes pour faire trébucher l'ennemi ou des noeuds coulants pour le pendre par les pieds, aiguisaient des branches qu'ils attachaient ensuite pour qu'elles craquent lorsqu'un imprudent s'adonnait à passer par là. «Des choses assez sadiques, commente-t-il avec un sourire en coin. On n'a pas réinventé la roue.»

Les petits gars, il est vrai, ne s'adonnent pas spontanément à la contemplation quand on les lâche seuls en forêt avec un canif gros comme un poignard. Et le sous-bois situé en contrebas de la maison familiale, au bord de l'eau, avec ces grosses pierres cernées de racines et ces fougères hautes comme un enfant de trois ans, était l'endroit idéal pour jouer à Rambo. «Si tu as une embuscade à tendre, c'est là», signale d'ailleurs le romancier, en pointant une grosse touffe vert tendre à l'air pourtant si innocent.

«Il me fallait un enjeu, une quête», ajoute-t-il. Un héros, un objet, une quête, des adjuvants, des opposants; une forme de schéma actanciel, comme dans un roman. Même arrivé à l'âge adulte, Guillaume Vigneault se dit incapable d'aller se promener dans les bois sans but. Il se donne donc un objectif, si futile soit-il: aller voir le niveau de l'eau, l'état du quai ou s'il reste encore des traces de sa vieille cabane dans un arbre.

Du tai-chi «arboricole»

«Une cabane, mon père m'en avait fait une officielle, avec du préfini sur les murs, mais mon chum et moi on s'en était construit une autre. C'était plus un deck de Ewok», raconte-t-il, parlant de ces petits guerriers poilus vus dans Le retour du Jedi. Il n'en reste que quelques vestiges: une corde bleue délavée qui a déjà fait partie d'une échelle, des planches pendantes et des lambeaux de tapis. «On n'avait pas pensé qu'avec la pluie, le tapis, ce n'était pas très approprié», reconnaît-il.

L'arbre en question est dangereusement penché au-dessus du lac des Deux-Montagnes. Presque autant qu'un autre, planté à quelques mètres de là, qui occupe aussi une place toute spéciale dans sa mémoire. C'est le premier qu'il se rappelle avoir grimpé. Son père avait même cloué des planches sur le tronc pour en faciliter l'ascension. «Tu vois, je n'ai pas menti!» se réjouit-il, en pointant les lignes pâles laissées par les marches et qu'il semble n'avoir lui-même jamais remarquées avant ce matin-là.

Le grand arbre à l'écorce épaisse est encore solide malgré son inclinaison. Guillaume Vigneault s'y installe avec aisance. Puis, au fil des poses, il finit par s'asseoir loin sur une grosse branche abîmée qui descend vers l'eau. Un faux mouvement et il risque de se retrouver à la flotte. Or, il est content. «Il fallait que je me rende au bout, c'était comme une pulsion!» lance-t-il avec enthousiasme.

«C'est une niaiserie, poursuit-il, un petit défi.» Pour se mettre en danger? «Non, je sais ce que je fais. Avant de grimper dans un arbre, je le regarde longtemps. J'ai identifié les prises. C'est comme en escalade, tu regardes la falaise et tu fais le scénario de ton ascension. Tu ne fais pas un mouvement de trop et tu y vas lentement. C'est comme du tai-chi, illustre-t-il, mais avec un objectif!»