En juillet dernier, un étrange communiqué apparaît dans ma boîte de courriels. On annonce le grand retour sur la «Main» de La duchesse de Langeais de Michel Tremblay. Nulle autre que la muse de Tremblay, Rita Lafontaine, est à la tête de cette entreprise mettant en vedette un illustre inconnu du nom de Francis Bourgea. Mieux: Édouard, la reine des «drama queen», fait son comeback au Mainline, siège social du Fringe et de la scène «champ gauche.»

Comment résister à telle invitation? Rita Lafontaine, celle qui incarne la bonne grand-maman, fraye désormais avec le monde des drags pour sa première grande mise en scène. Faut voir ça! C'est comme si Andrée Lachapelle déclarait qu'elle se lance dans la chanson grivoise!

Mais j'avais oublié que La duchesse de Langeais n'est pas un freak show. En fait, j'avais oublié La duchesse de Langeais, un texte abrasif et très cru que j'ai lu Ai-je même déjà lu (ou entendu) La duchesse de Langeais?

En fait, comme plusieurs de mes congénères, je connais beaucoup moins Michel Tremblay que je me plais à le croire. Tremblay, c'est comme Marx: pourquoi s'encombrerait-on de le lire dans le texte, quand tout a été dit et redit sur le rayonnement de son oeuvre, sur sa pensée, sur l'impact colossal de ses écrits sur la société? À l'école secondaire, Contes pour buveurs attardés était au programme des lectures obligatoires. Puis, j'ai vu quelques télé-théâtres (Albertine en cinq temps, Hosanna), lu quelques romans (Chroniques du Plateau Mont-Royal, Un ange cornu avec des ailes de tôles). Mais de là à dire que je connais Tremblay

J'ai quitté le Mainline après La duchesse de Langeais, secouée par le monologue cinglant d'Édouard qui, ce soir-là, n'a pas fait l'amour mais s'est soûlé au whisky pour oublier son chagrin d'amour. Un travesti vieillissant, star de la nuit montréalaise, qui sera ensuite au coeur du riche et complexe univers fictif de l'auteur des Chroniques du Plateau Mont-Royal.

Tremblay a écrit La duchesse de Langeais en 1968, l'année où Les Belles-Soeurs ont révolutionné le théâtre québécois. En fait, avant Les belles-soeurs et l'incursion du joual sur une scène, il fallait plutôt parler de «théâtre canadien-français». On sait aussi que le théâtre de Tremblay a donné droit de parole aux femmes, aux mères, aux petites gens des milieux ouvriers, aux homosexuels, au «vrai monde».

Le Rideau Vert, ces jours-ci, célèbre ses 60 ans d'existence et les 40 ans des Belles-soeurs avec Le paradis à la fin de vos jours, une nouvelle création de Tremblay qui fait parler la figure de sa mère, Nana, perchée au ciel depuis 45 ans.

Mais plutôt que de revenir sur tout ce qui a été dit sur Tremblay, remettons plutôt le nez dans ses romans et son théâtre. Oublions qu'il a été traduit en tamoul ou en yiddish, revenons-en du joual, pour simplement découvrir la force de ses dialogues et son talent de conteur. Et pendant qu'on y est, questionnons Tremblay. Interrogeons-nous sur la pertinence de faire monologuer une Nana au paradis, en guise «d'hommage» à ses Belles-soeurs si critiques.

Le problème, avec Tremblay, est que son mythe nous fait passer à côté de son oeuvre: on se l'approprie sans faire l'effort de le découvrir vraiment.