Un matin du mois d'août 2007, en plein Fringe d'Édimbourg, j'ai le nez dans le faste programme du festival. Déroutée par l'abondance de l'offre et surtout obsédée par l'idée de dénicher LA perle rare, je décide d'aller jeter un coup d'oeil à la pièce Victoria de la Montréalaise d'adoption Dulcinea Langfelder. N'ayant jamais vu cette pièce créée en 1999, je suis renversée par la performance de Langfelder et l'ingéniosité de cette production. Et je ne suis pas seule: Victoria, une pièce qui aborde la cruauté du vieillissement avec humour et poésie, récolte les éloges critiques dans la presse britannique ainsi que plusieurs prix au Fringe, le plus grand festival des arts de la scène de la planète.

En écoutant les protestations des membres du milieu culturel contre les coupes du gouvernement Harper, j'ai pensé à Dulcinea, une artiste qui a joué un peu partout dans le monde. Le lendemain de la manif (à laquelle elle a participé), je lui ai passé un coup de fil pour connaître son état d'esprit. Elle était en furie.

«Je sais que le public ne comprend pas, ne peut pas savoir ce que cela implique. Ma compagnie survit par la tournée. Si toutes les compagnies comme la mienne disparaissent, le pays se retrouve sans profil culturel. C'est notre plus grande influence dans le monde», dit cette artiste qui s'apprête à partir au Japon avec sa nouvelle création et qui a été invitée à présenter Victoria au Zimbabwe, au printemps 2009.

Pierre McDuff, du théâtre des Deux Mondes, autre compagnie très cosmopolite, fait valoir que les arguments du fédéral concernant la «saine gestion» ne tiennent pas debout. «Les études concernant le programme PromArt étaient positives et démontraient que le programme remplissait ses objectifs. La France est en train de construire un deuxième musée Pompidou à Shanghai. Et nous, pendant ce temps, on coupe dans la culture et nos hélicoptères sont supposés représenter le Canada.»

Plus tôt cette semaine, joint au téléphone en France, Wajdi Mouawad affirmait que les mesures de Harper en culture révélaient «soit une indifférence totale envers les artistes et la culture, soit un geste de vengeance, de détestation».

Au-delà des questions de rentabilité, il faut aussi se demander ce que l'expérience de la tournée internationale apporte à la création. Dulcinea Langfelder soutient que de créer pour des publics sud-américains, européens ou asiatiques a modifié son regard sur le monde. «J'ai envie de m'interroger sur des problématiques plus vastes, moins nombrilistes.»

En percevant comme un «luxe» ou une banale entreprise de promotion la mobilité internationale des artistes d'ici, on se tire royalement dans le pied, selon elle. «Ce n'est pas notre présence en Afghanistan qui donne un profil culturel au Canada», scande aussi Dulcinea Langfelder.

Mais comme le souligne André Brassard, tant et aussi longtemps que les citoyens percevront les arts comme un luxe, et non comme une nécessité pour vivre, la culture est menacée. Très critique de la production théâtrale d'ici - il trouve que le métier d'acteur est devenu un truc de m'as-tu-vu et fustige l'obsession pour la télé -, Brassard se fait tranchant. «Avons-nous, comme artiste, réussi à rendre notre métier, notre pratique, notre art, indispensables en société? Ou est-ce encore considéré comme un luxe? Si on n'a pas réussi à convaincre nos frères, nos semblables, nos concitoyens, de l'importance de l'art pour aider les gens à vivre, on va périr.»