La seule fois qu'il a chanté au Québec sans les Beatles, Paul McCartney a réclamé sa juste part de l'héritage du célèbre groupe. Le 8 décembre 1989, au Forum de Montréal, les deux tiers des chansons au programme, McCartney les avait écrites et chantées avec les Beatles. Demain, à Québec, attendez-vous à ce qu'il aille encore plus loin et chante John Lennon et George Harrison.

À Québec, demain soir, Paul McCartney devrait chanter Something de George Harrison puis la magistrale A Day in The Life jumelée à Give Peace a Chance en hommage à John Lennon. C'est en tout cas ce qu'il a fait dans ses deux seuls autres concerts cette année, devant Yoko Ono et Olivia Harrison à Liverpool le 1er juin, puis à Kiev le 14 juin.

Dire que lors de sa première série de spectacles post-Beatles, avec le groupe Wings en 1976, McCartney avait à peine touché au répertoire du Fab Four. Il a fallu attendre sa tournée mondiale suivante, 13 ans plus tard, pour qu'il s'autorise enfin à chanter sur scène quelques-unes des immortelles qu'il avait écrites pour le groupe qui a révolutionné la musique populaire.

Le 8 décembre 1989, au Forum, 12 000 privilégiés ont eu l'illusion d'entendre les Beatles jouer pour eux quelques-unes de leurs plus belles chansons. Grâce à l'échantillonnage, il était désormais possible d'entendre les violons d'Eleanor Rigby - sans les violonistes - l'avion de Back in the USSR, ou encore la clameur et les rires de la foule pendant la chanson Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (enregistrés dans un spectacle d'humour!).

Mais les avancées de la technologie n'expliquaient pas tout. Il y avait presque 20 ans que les Beatles s'étaient séparés et McCartney avait expliqué ce jour-là aux journalistes rassemblés dans un salon du Forum que ce n'était plus douloureux de chanter leurs chansons: «C'est comme un vieux divorce, on ne se déteste plus autant. Nous avons tous refusé de faire des chansons des Beatles après la rupture pour nous concentrer sur nos nouvelles carrières. Nous nous sommes séparés à cause d'un différend d'affaires, mais le temps arrange bien les choses. C'est pour ça qu'aujourd'hui, je peux chanter des chansons des Beatles avec plaisir.»

McCartney devait revenir chanter à Montréal le 18 juillet 1990, au Stade olympique. Mais comme on n'avait vendu que 30 000 billets à un mois du concert, on a tout annulé en prétextant des problèmes de production. Le bassiste des Beatles n'est plus jamais monté sur scène au Québec.

«On a essayé plusieurs fois de le faire revenir», confirme Aldo Giampaolo, qui était le patron du Groupe Spectacles Gillett avant d'aller travailler au Cirque du Soleil. Giampaolo, que le concert de 1989 avait soufflé, se souvient qu'il avait fait ouvrir la boutique du Forum pour les enfants de McCartney et que ce dernier l'avait remercié en acceptant de se faire photographier avec ses invités, Céline Dion, René Angélil, Michel Beaudry et sa femme.

Si McCartney n'est pas revenu depuis, c'est en partie à cause de la faiblesse de notre dollar, estime Giampaolo: «C'était plus rentable de chanter devant 14 000 spectateurs à Albany que devant 21 000 au Centre Bell!»

Donald Tarlton organisait des soirées de danse à Rosemère quand il a vu les Beatles au Forum, le 8 septembre 1964. John, Paul, George et Ringo y ont donné deux concerts d'une trentaine de minutes; celui de 20h30 affichait complet (11 500 spectateurs), mais pas celui de 16h pour lequel on avait vendu 9500 billets. Quelques années plus tard, Tarlton allait fonder Donald K. Donald et devenir le plus important producteur de spectacles rock à Montréal. C'est lui qui a fait venir McCartney au Forum en 1989.

Tarlton ne se souvient pas pourquoi le concert de McCartney au Stade olympique l'année suivante a été annulé, mais il n'a jamais cru à la stratégie de jouer dans un aréna puis de revenir dans un stade, pas à Montréal en tout cas. «Quand tu annonces qu'une superstar s'amène en ville, ça crée un buzz incroyable, tout le monde veut y être, explique-t-il. Je présume qu'on n'a pas réussi à créer le même enthousiasme l'année suivante au Stade et qu'il y avait plein d'autres endroits où McCartney pouvait jouer à guichets fermés.»

Bien entouré

En 1993, il a fallu se rendre à Toronto pour voir McCartney donner un spectacle couci-couça. À cette époque, ses musiciens n'avaient pas le tonus de son groupe actuel et sa femme Linda, installée derrière les claviers, était la cible de bien des railleries. Aujourd'hui, McCartney est entouré de grossepointures, dont l'imposant batteur Abe Laboriel Jr., avec qui il peut tout se permettre sans risquer de se casser la gueule, y compris reprendre la pesante Helter Skelter comme il l'a fait avec bonheur au festival de Glastonbury en 2004.

Le producteur québécois Serge Grimaux, installé à Prague depuis 1992, n'a pas oublié le concert de McCartney dans la capitale de la République tchèque en 2004. «McCartney a donné une performance électrisante, dit-il. On a produit Metallica, Lenny Kravitz, David Bowie et Santana au même endroit, mais le spectacle de McCartney a été de loin le plus hallucinant de tous: le band était incroyable et l'aspect visuel du spectacle, superbe.»

Grimaux se souvient d'un McCartney fort sympathique à qui aucun détail de la production n'échappait. Comme Grimaux brasse désormais des affaires en Inde et que McCartney doit faire une tournée mondiale en 2009, ça ne m'étonnerait pas que ce producteur allumé tente de présenter le premier concert d'un ex-Beatles au pays de Maharishi Mahesh Yogi.

De la poigne

Que Paul McCartney soit un artiste en contrôle, ça n'étonne surtout pas François Pérusse. Giles Martin, fils de Sir George, l'éminent réalisateur des albums des Beatles, le lui avait confirmé alors que le créateur des 2 minutes du peuple fabriquait littéralement des dialogues pour le spectacle LOVE du Cirque du Soleil à partir de conversations enregistrées des Beatles.

«Giles Martin m'a raconté des choses qui ont changé ma perception, raconte Pérusse. Il m'a fait voir McCartney comme un vrai leader, mais un leader avec de la poigne. Dans les bandes que j'ai écoutées, ça ne s'entend pas, c'est plus un travail de groupe, on sent la camaraderie. Mais Giles m'a dit qu'à l'époque de l'album blanc, Paul ne voulait rien savoir, qu'il était un peu dictateur.»

Pérusse n'a pas rencontré McCartney, tous ses contacts avec l'ex-Beatles ont eu lieu par personne interposée. Mais il a apprécié son ouverture d'esprit, son audace, digne du McCartney ambitieux qui a lancé les Beatles dans l'aventure Sgt. Pepper's.

«Tout le monde, de Neil Aspinall, qui représentait Apple, à la direction du Cirque du Soleil, avait peur de la réaction de Paul et de Yoko Ono face à mon travail. Imagine, je manipulais les voix des Beatles pour faire des dialogues J'ai fait entendre mes premiers montages à monsieur Martin (George), il a beaucoup ri, il a constaté que c'était plus de la tendresse que du burlesque. Mais il m'a dit qu'il avait peur de Paul. Finalement, quand Yoko a entendu ça en décembre 2005, puis Paul en mai 2006, ils ont tous les deux dit: mettez-en plus! Quand (le concepteur et metteur en scène) Dominic Champagne a fait un sketch humoristique pour la chanson Blackbird, certains ont pensé que c'était une insulte. Paul a dit: «Moi, j'aime ça.» On s'attendait à ce qu'il défende son oeuvre corps et âme, mais il était très ouvert.»

Au point où McCartney voulait intégrer les dialogues conçus par Pérusse sur l'album LOVE. «Mais nous avons tous convenu, moi le premier, que c'était plus un élément du spectacle qu'un élément du disque», ajoute Pérusse.

Un mythe qui rocke!

Avant même le concert-événement de demain soir sur les plaines d'Abraham, Paul McCartney avait déjà un lien avec la ville de Québec. En effet, c'est à l'église Saint-Roch, dans le cadre du Festival d'été de Québec, qu'a eu lieu la création canadienne de son Liverpool Oratorio, les 15 et 16 juillet 1992. L'ex-Beatle n'y a pas assisté, mais son co-compositeur Carl Davis y a dirigé l'orchestre.

McCartney avait alors accepté de donner une entrevue téléphonique comune à La Presse et au Devoir pour faire la promotion de son oeuvre classique. «C'est presque un luxe d'aller voir un spectacle où des gens jouent une musique dans laquelle j'ai beaucoup investi et de n'avoir rien à faire. C'est parfait pour un paresseux comme moi» nous avait dit en riant celui que ses camarades Beatles considéraient à juste titre comme le bourreau de travail du groupe.

C'est ce même McCartney, dont le charme et l'apparente désinvolture ne parviendront jamais tout à fait à masquer le côté volontaire, que Québec accueillera demain soir. Un artiste dont les derniers albums sont fort bons, même s'ils sont condamnés à demeurer dans l'ombre de sa contribution au corpus des Beatles. Une super-star dont la légende a grandi de façon exponentielle depuis les années où il était au sommet de sa popularité.

Un mythe vivant, certes, mais un mythe encore et toujours capable de rocker!

Paul McCartney se produit demain, sur les plaines d'Abraham, dans le cadre des festivités du 400e anniversaire de Québec.