Il est le Canadien encore vivant le plus connu en Chine. Une grande vedette locale. Rencontre avec Mark Rowswell, alias Da Shan, l'homme qui fait rire les Chinois depuis 20 ans.

Est-ce que vous êtes Da Shan? demande l'hôtesse, les yeux admiratifs, à notre arrivée dans un restaurant de l'est de Pékin. - Oui, répond Mark Rowswell.

Si Mark Rowswell, connu en Chine sous le nom de Da Shan, voulait exposer sa notoriété locale au journaliste qu'il rencontrait ce midi-là, il n'aurait pu inventer meilleur scénario. Un serveur est même venu à la fin du repas avec trois feuilles blanches pour que Da Shan y laisse sa griffe.

La scène n'avait rien d'arrangé avec le gars des ombres chinoises: presque partout où il se trouve en Chine, Mark Rowswell est reconnu, voire admiré. Quand on dit à un Chinois qu'on vient du Canada, deux noms lui viennent en tête: le Dr Norman Bethune, qui est mort en soignant les soldats de Mao, et Da Shan.

«Les Chinois connaissent aussi Céline Dion, mais elle, c'est une vedette mondiale, explique le principal intéressé. Ce qu'il y a de particulier avec le Dr Bethune et moi, c'est qu'on est connus en Chine.»

L'histoire de Da Shan commence en 1988. Mark Rowswell, fraîchement diplômé de l'Université de Toronto (avec majeure en mandarin), débarque à l'Université de Pékin. Son objectif: parfaire sa maîtrise de la langue chinoise pendant un an et après, la diplomatie ou les affaires tout ça n'est pas encore très clair dans sa tête.

Sauf que, moins de trois mois après son arrivée à Pékin, il participe à un concours à la télé chinoise. Il s'agit de monter un petit numéro de théâtre. À l'époque, les Chinois ont déjà vu des étrangers parler leur langue, mais pas comme Mark Rowswell le fait: il présente, avec une Brésilienne, une scène de ménage dans laquelle le chinois parlé est le parfait patois de Pékin. Le langage cru de la rue, loin du mandarin international qu'on apprend à l'université.

L'effet est immédiat. Le personnage de Da Shan est né.

Du pékinois, Da Shan passe vite à une autre forme d'art, complexe même pour la majorité des Chinois: le Xiangsheng, une forme d'humour basée sur les doubles sens. Imaginez un peu: des jeux de mots en mandarin comme si Sol s'était mis à l'arabe!

S'ensuit une carrière de stand-up comique jusqu'à la fin des années 1990. Aujourd'hui, l'homme de 42 ans est animateur de télé et de galas, joue des rôles à la télé, tourne des publicités et fait du théâtre.

Il termine d'ailleurs une tournée chinoise avec la pièce Le dîner de cons, dans laquelle il joue le rôle de Pierre. Un rôle qui lui a valu le prix du meilleur acteur de soutien à Shanghai. «C'est grosso modo comme les Tony Awards à New York, explique-t-il, et un des prix artistiques les plus prestigieux de Chine. C'était aussi la première fois qu'un étranger recevait le prix, donc ça a été tout un honneur.»

Il aime le théâtre, dit-il. C'est moins stressant que le stand-up comique. «L'humour, c'est une des choses les plus difficiles à faire, une des plus stressantes. Les spectateurs sont là, te regardent avec un sourire et veulent rire. Ils sont venus pour ça. Au théâtre, on doit les amuser, mais pas nécessairement les faire rire.»

Quant à la télé «C'est plus facile, les gens ont écrit un texte pour toi.»

Il ne dit toutefois pas non à un retour sur la scène de l'humour. Just for Laughs de Toronto l'a d'ailleurs sollicité pour créer une scène chinoise pendant le festival.

Avant de se lancer entièrement dans les arts de la scène, Mark Rowswell a travaillé pendant trois ans à l'ambassade du Canada à Pékin. Jusqu'en 1995, il était responsable des affaires culturelles et publiques. «Je n'ai pas eu de vrai job depuis», lance-t-il.

Le «East-meets-West guy»

N'empêche qu'avec son BlackBerry en poche, son veston et son sac, on n'a pas de difficulté à l'imager dans les affaires ou dans la diplomatie.

On se demande d'ailleurs un peu si ce n'est pas le businessman derrière Da Shan inc. qui parle quand il lance: «Je charge plus cher que les autres. Donc si des gens veulent vraiment Da Shan, avec ce qu'il représente, ils vont payer. Sinon, ils vont prendre un autre étranger qui parle chinois.»

Et que représente donc Da Shan? Il est le «East-meets-West guy», dit-il, celui qui fait le pont entre les cultures orientales et occidentales.

Avec la mondialisation, en Chine comme ailleurs, poursuit-il, plusieurs se demandent ce qu'il restera de leur culture. Souvent, la mondialisation est perçue comme une occidentalisation, comme une perte de cette culture chinoise cinq fois millénaire. «Comme Occidental qui prend la peine d'apprendre leur culture, je leur apporte un message très rassurant.»

«Les Chinois ont une perception très forte d'eux, ajoute-t-il. Ils se disent: «Il y a nous, les Chinois, et eux, les étrangers». Da Shan n'entre pas dans cette catégorisation parce qu'il est parfois perçu comme plus chinois que les Chinois.»

Cette image n'est pas partagée par tous. D'autres étrangers l'ont maintes fois accusé d'être un Blanc de service, qui fait le pitre pour amuser les Chinois. «Je suis tout le contraire de ça», se défend-il. Et ça l'enrage tellement qu'il répond parfois directement à ses détracteurs qu'il lit sur le net.

Observateur privilégié

En 20 ans, Mark Rowswell et Da Shan ont été des observateurs privilégiés des changements survenus en Chine. Qu'est-ce qui l'a le plus marqué? «Les médias chinois me demandent souvent ça parce qu'ils aiment entendre dire de quelle façon la Chine s'est construite, comment il y a maintenant plein de centres commerciaux. Mais je ne réponds jamais ça. Je dis toujours qu'il y a 20 ans, il y avait un fossé entre ceux qui croyaient en la Chine, les ultranationalistes, et ceux qui voulaient la quitter à tout prix.»

Maintenant, dit-il, il y a davantage de zones grises, les Chinois ont évolué.

La journée de l'entrevue, comme bien d'autres journées d'ailleurs, Pékin était enveloppé d'une substance jaunâtre. La qualité de l'air était-elle meilleure à son arrivée? Oui, répond-il sans hésiter. Comme à d'autres endroits sur la planète, précise-t-il.

L'écart ente les riches et les pauvres était moins grand aussi, dit-il, «mais les pauvres sont plus riches maintenant». Et il y a aussi le filet de sécurité sociale, qui a disparu.

«Ce sont les trois seuls éléments négatifs auxquels je peux penser.» Pour le reste, la Chine a évolué, dans le sens positif du terme.

Et le Tibet, les droits de la personne? «Vous pensez vraiment que les droits de la personne sont moins respectés qu'il y a 30 ans? demande-t-il. C'est ridicule.»

Des honneurs

2007: Magnolia blanc du meilleur acteur de soutien à Shanghai, décerné pour la première fois à un étranger

2004: Premier étranger choisi parmi les «10 jeunes exceptionnels de Pékin»

1999: L'Université de Toronto le choisit parmi les «100 anciens étudiants qui ont marqué le siècle»

1999: Le magazine Time l'identifie comme un des «leaders du 21e siècle»