Il n'y a pas si longtemps, une exposition comme celle présentée tout l'été au Musée d'art contemporain des Laurentides aurait fait scandale. Probablement qu'elle n'aurait même pas eu lieu. Les tableaux d'Attila Richard Lukacs expriment en effet, avec véhémence, un imaginaire homosexuel assumé. Un univers gai, mais trouble et triste.

En 1996, Attila Richard Lukacs, alors jeune peintre de Vancouver, a présenté au Musée d'art contemporain de Montréal une exposition qui fit grande impression. Il s'agissait d'immenses toiles mettant en scène des punks ou encore des ouvriers dans des univers de violence ou de sadisme. Ses tableaux racontaient des histoires et la manière de peindre de l'artiste n'avait rien d'abstrait. Il allait à contre-courant... De jeunes peintres montréalais suivront ses traces.

Cet été, Lukacs se retrouve au musée de Saint-Jérôme avec une série de peintures plus intimistes mais tout aussi troublantes qui racontent, en noir et ocre, la découverte de la sexualité (invertie, comme on disait autrefois) par de jeunes adolescents. L'exposition porte le titre, en anglais, d'Inside Darkness, plus évocateur que De l'obscurité, le titre en français.

Chaque toile exposée pourrait être liée à des souvenirs personnels de l'artiste, ou de tout jeune découvrant son homosexualité. Comme Here I Come où deux jeunes garçons se font face et se touchent les doigts. Ils sont placés devant une fenêtre ouverte sur un paysage ocre et brun. Sur une étagère le long de la fenêtre, il y a une série de figurines de soldats et d'Indiens parés pour la guerre. Comme dans les autres toiles, les personnages sont plongés dans une certaine obscurité. La lumière ocre du fond des tableaux dessine des ombres sur eux. L'obscurité dont il est question dans le titre de l'exposition est à la fois celle des désirs troubles ou interdits, et celle de la peinture. Il y a beaucoup de références à l'histoire de l'art dans l'oeuvre de Lukacs.

Dans certains tableaux, le jeune est seul et semble regarder le vide. Ou, accoutré de sous-vêtements à l'ancienne qui le montrent bandé, il est avec un autre homme. Il est nu, dans la forêt, et des cerfs viennent le sentir. Il marche avec un groupe de scouts entre deux pics. Le titre de cette toile dit beaucoup: You Know, Sympathy is the Worst of the Deadly Sins. Que l'on pourrait traduire ainsi: "Vous savez, l'attirance pour un autre est le pire des sept péchés capitaux". Puis l'adolescent devient un homme et s'affiche dans toute sa virilité, exprimée dans Colossus par un homme noir, fort, nu, et bandé.

Il y a une symbiose entre la manière de peindre de Lukacs et le propos exprimé. La peinture noire qu'il utilise est épaisse et lustrée. Ses coups de pinceaux ou de spatules sont vigoureux. Ses fonds sont hachurés, brossés, grattés. Il y a de la violence dans l'exécution.

Lukacs, né en 1962, est un peintre connu sur la scène internationale. Il a vécu à Berlin, New York, Hawaii, entre autres, et habite actuellement Vancouver. La série d'oeuvres qu'il présente à Saint-Jérôme a été réalisée sur plusieurs années, depuis 1998 jusqu'à 2008. On dirait le journal visuel intime d'un peintre comme il existe des journaux intimes de romanciers. L'exposition vaut le déplacement à l'ancien palais de justice de Saint-Jérôme, situé place Curé-Labelle. Décidément, les temps ont changé.

De l'obscurité/Inside Darkness au Musée d'art contemporain des Laurentides, 101, Place du Curé-Labelle, Saint-Jérôme. Jusqu'au 31 août. Ouvert du mardi au dimanche, de 12h à 17h. Entrée: 2$. (museelaurentides.ca)