On croit le connaître, depuis le temps. Mais que sait-on vraiment de Woody Allen? L'homme, plus ou moins à l'aise en société, donc avare de confidences, semble parfaitement imperméable au tapage médiatique concernant sa vie privée. En a-t-il une seulement? À en croire les propos rapportés par le journaliste et écrivain Eric Lax dans Entretiens avec Woody Allen, l'auteur de Zelig et Annie Hall ne vit que d'écriture et de cinéma.

Que nous apprennent donc ces entretiens que nous ne sachions pas déjà? Peu de choses essentielles, en vérité, Allen s'y faisant généralement, selon son habitude, avare de confidences intimes. Pas de révélation-choc au programme, donc. Pas de confession croustillante: Entretiens avec Woody Allen est moins un livre sur l'homme que sur le cinéaste; sur les aléas de ce qu'il ne considère lui-même que comme son «métier», sur les affres et les joies de la création, sur son rapport avec les acteurs, sur ses choix esthétiques. Le journaliste et écrivain Eric Lax a suivi Allen depuis 1971 jusqu'à 2006, couvrant ainsi l'ensemble d'une carrière extrêmement riche.

Né comique et parfaitement conscient du pouvoir qu'un tel don confère, Allen a toujours lorgné, dès ses débuts, vers les hautes sphères du cinéma dit «sérieux». S'il est techniquement, croit-il, beaucoup plus difficile de réaliser une bonne comédie, les films «sérieux» de ceux qui, explorant l'âme humaine, poussent à la réflexion, sont à ses yeux supérieurement pertinents. Plus ou moins coincé dans la peau de son «personnage», c'est à tâtons, en prenant des risques, qu'il s'est aventuré et s'aventure encore dans le drame psychologique et la tragédie. À son avis, il a atteint avec Match Point sinon la perfection, au moins une sorte d'accomplissement.

Sûr de lui mais lucide, Woody a appris à faire des films sur le tas, comme on dit. D'abord peu intéressé par la forme (une comédie n'ayant selon lui aucun besoin d'effets de style, l'efficacité du gag primant sur la mise en scène), il a su très tôt s'entourer de collaborateurs talentueux et de très bon conseil. S'il a toujours entretenu des relations quelque peu distantes avec ses acteurs, qu'il vénère jusqu'aux rôles de troisième ordre, c'est qu'il a en eux pleine confiance, aussi s'abstient-il le plus souvent de les «diriger».

Chose étonnante: Woody Allen, qu'on imagine un peu éparpillé et lunatique, est très bien organisé, suivant un système qui n'appartient qu'à lui, suivant aussi ses humeurs et ses envies du moment. La tête toujours bouillonnante de projets flous et d'idées éparses, Allen s'est imposé une étrange discipline : penser à son prochain film dès qu'il en a l'occasion. Sous la douche, en marchant, en attendant le taxi et même en soupant avec des amis, chaque moment libre est employé à l'élaboration d'une oeuvre à venir. De temps à autre, il a recours à sa banque d'idées, un grand sac en papier brun rempli de bouts de papier qu'il entasse compulsivement. Il doit y avoir là-dedans de quoi faire une douzaine d'autres films.

Ce bouquin, où il n'est en somme question que du métier, s'adresse évidemment aux admirateurs, lesquels, sans grande surprise mais avec un intérêt continu, en sauront un peu plus sur le processus créatif de cet auteur unique, sur ce «système» inventé et exclusif, cette manière toute personnelle de concevoir et de faire du cinéma.

Entretiens avec Woody Allen

Eric Lax, Plon, 430 pages, 46,95$