Gilles Royal est un nouveau venu sur la scène du polar québécois. Titulaire d'une licence en lettres et en linguistique de l'université de Montréal, il a travaillé pendant plusieurs années comme concepteur et rédacteur publicitaire. Bête noire est son premier roman, un récit noir dans lequel il nous propose une véritable descente aux enfers dans ce pseudo-paradis pour touristes qu'est Cuba!

Christian Lemieux, ancien flic recyclé en détective privé, doit retrouver Omara Valdez, une jeune Cubaine que son client cherche désespérément à joindre. Lemieux se rend dans l'île de Fidel Castro en se faisant passer pour un touriste venu perfectionner son espagnol. Ce qu'il découvre là-bas, aucun vacancier ne l'a encore jamais vu! Les autorités ont mis en place une structure répressive particulièrement efficace. Les gens sont constamment surveillés, y compris par leurs proches. La police et l'armée sont omniprésentes, les contrôles d'identité sont incessants et Lemieux se rend compte qu'il devra agir avec prudence dans un univers de mensonges, de répression sociale et de corruption.

Quand deux de ses contacts sont éliminés de manière brutale, il réalise que sa propre vie est peut-être en danger: quelqu'un ne tient pas à ce qu'il retrouve la jeune femme. C'est alors qu'il rencontre la belle et énigmatique Alicia, qui lui propose aide et faveurs sexuelles moyennant finances. Ce qui était au départ un simple arrangement d'affaires devient une histoire d'amour torride qui complique singulièrement la tâche de l'enquêteur. Grâce à Alicia, Lemieux découvre toutes sortes de facettes inconnues de la société cubaine, notamment le rôle qu'y joue la santeria, ce mélange explosif de religion et de sorcellerie, originaire d'Afrique et qui déconcerte ou effraie les étrangers. Publié dans la nouvelle collection Adrénaline, Bête noire est un premier roman intéressant, même si l'aventure policière manque un peu de tonus, de suspense et d'action. Christian Lemieux est un personnage insolite dont on espère lire une seconde aventure, mais c'est Cuba qui vole vraiment la vedette dans ce récit très «sociologique» qui en explore le côté obscur et méconnu.

Schéma semblable

On retrouve un schéma narratif un peu identique dans Tonton Clarinette, le premier roman du Britannique Nick Stone, paru dans la prestigieuse Série Noire. Max Mingus, ancien flic de Miami recyclé en enquêteur privé, est engagé pour retrouver Charlie Carver, fils d'une grande famille haïtienne, disparu depuis plus de trois ans. Pour ce faire, il se rend à Haïti, un pays dominé par le vaudou où des dizaines d'enfants se sont volatilisés depuis des décennies. Selon la légende locale, ils auraient été enlevés par Tonton Clarinette, un musicien qui envoûte ses victimes, un voleur d'âmes, qui pourrait bien être un tueur en série.

Au cours de sa périlleuse enquête, riche en scènes éprouvantes, Max devra affronter Vincent Paul, un baron de la drogue qui règne en seigneur et maître sur Cité Soleil, un bidonville sinistre et dangereux, d'une saleté inimaginable, digne des cercles de l'Enfer. La description de cet enfer urbain est une véritable page d'anthologie. Max Mingus est un personnage tourmenté, au passé violent, qui est plongé dans un enfer tropical où la mort guette, que ce soit sous forme de zombis, de tontons macoutes recyclés en truands ou d'enfants des rues prêts à lapider l'étranger égaré dans le mauvais quartier.

Au fur et à mesure que Max remonte la piste de Charlie, il découvre l'horreur et la vraie raison de la disparition des gamins. L'affaire sordide qu'il perce à jour n'a rien de surnaturel, mais elle n'en est pas moins horrible! Ce polar, qui a remporté le Ian Fleming Steel Dagger 2006 et le Macavity Award 2007, est une lecture coup-de-poing, un roman noir baroque aux accents gothiques sur lequel plane l'ombre du terrifiant Tonton Clarinette. L'action est menée à un rythme soutenu, les personnages sont très typés, mais authentiques, et l'histoire enlevante. Nick Stone habite à Londres, mais il a vécu de nombreuses années dans l'île. Sa mère descend des Aubry, une des plus anciennes familles d'Haïti.

Ces deux romans bien documentés, dont l'action se passe dans des îles tropicales aux paysages paradisiaques, illustrent parfaitement une des vocations du roman noir: nous présenter l'envers du décor, le négatif de la carte postale, qui se réduit souvent à des clichés de plages, de baignades, d'hôtels de luxe, alors que l'enfer est juste à côté.

Bête noire

Gilles Royal Guy Saint-Jean Éditeur, 306 pages, 24,95$

Tonton Clarinette

Nick Stone Gallimard, 608 pages, 39,95$