Le réalisateur des Bronzés et de Ridicule n'a aucune hésitation. Des grands classiques de l'humour américain, c'est Groucho Marx qu'il préfère.

Joint au téléphone, Patrice Leconte, qui signe la mise en scène de cette correspondance de Groucho, est catégorique: «Bien sûr, j'ai une passion pour Chaplin et Buster Keaton, mais j'ai toujours eu une tendresse particulière pour les Marx et le personnage de Groucho pour commencer: j'adore cette politesse ravageuse qui lui permet de dire des choses horribles.»

Et donc, ça s'est passé de la manière suivante. Au cours d'un voyage en TGV, fin 2006, il rencontre le directeur du festival de la correspondance de Grignan: «Ce serait bien que vous mettiez en scène une correspondance célèbre. Pourquoi pas celle du réalisateur allemand Fassbinder?» Et pourquoi pas Groucho Marx? rétorque Patrice Leconte. Le ténébreux Fassbinder et l'extravagant Groucho, ce n'est pas franchement la même chose. Mais qu'à cela ne tienne, classé à l'origine dans les «comiques», Leconte a aussi réalisé des films noirs, dont Monsieur Hire. Et l'affaire est aussitôt conclue.

«En fait, explique Leconte, il y a deux correspondances de Groucho Marx. L'une se compose de lettres à sa fille, dont il ne s'était pas suffisamment occupé après son divorce: ce sont des lettres intimes, sérieuses, dont on a l'impression qu'elles ne nous regardent pas. En revanche, l'autre correspondance, qui nous intéresse, est à mourir de rire: Groucho a des échanges de lettres avec des pépiniéristes, des journalistes, les frères Warner. Ceux-ci, par exemple, menacent les Marx d'un procès pour avoir parodié le titre de Casablanca avec Bogart. Groucho leur écrit: c'est vrai que Harpo ressemble beaucoup à Ingrid Bergman...»

Mais, on le sait, il y a de la tristesse dans le clown, et Groucho n'échappe pas à la règle, ce qui lui donne une dimension supplémentaire: «Dans l'incroyable drôlerie des lettres, cette façon de ne rien prendre au sérieux, il y a un côté assez désabusé, du désenchantement, une sorte de peur panique du temps qui passe. C'est parfois très émouvant.»

La correspondance publiée fait quelque 300 pages. Patrice Leconte s'est autorisé à «un peu de tripatouillage, dans le respect le plus total de l'auteur». Il a sélectionné, coupé, rafistolé pour arriver à un spectacle d'une heure vingt à peine, «de manière à ce que les spectateurs aient l'impression de rester sur leur faim, plutôt que le contraire».

Là-dessus, Leconte dîne un soir chez Jean-Pierre Marielle - avec qui il n'a tourné que deux films, «réussis mais qui n'ont pas eu le succès public attendu: Le parfum d'Yvonne et Les grands ducs. Il lui dit: «Est-ce que vous accepteriez d'incarner Groucho Marx sur scène?» Et Marielle de lui répondre de sa voix de violoncelle: «Mais Patrice, je vous interdis de monter cette pièce avec quelqu'un d'autre!»

L'affaire est lancée. Marielle-Groucho donnera la réplique à un très vieil ami dans le métier, Pierre Vernier, qui joue tour à tour les secrétaires, les créanciers, les producteurs, etc.

«J'ai consacré à cette entreprise un petit mois de ma vie. Avec délice. Mais sans chercher à faire l'intéressant dans ma mise en scène. Avec une moustache et des lunettes, Marielle est ressemblant, mais je n'ai surtout pas cherché à le transformer physiquement en imitation de Groucho, et donc il ne déambule pas en singeant sa démarche. On se concentre sur la qualité des lettres et du jeu de Jean-Pierre. Avec accompagnement musical du Grouchy Trio, qui ajoute de la gaieté et de l'ironie. Le résultat: tout simplement jubilatoire.»